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Continuer la lecturePiratage : Canal+ et la Ligue de football professionnel s’attaquent maintenant aux VPN
De nombreux Français utilisent ces outils peu chers ou gratuits pour se localiser à l’étranger et contourner les mesures de blocage.

Pour enfin faire respecter les mesures de blocage ordonnées par la justice, Canal+ et la Ligue de football professionnel passent à la vitesse supérieure. Le premier - pour protéger ses droits sur la Premier League, la Ligue des Champions et le Top 14 de Rugby - et la seconde (Ligue 1, Ligue 2, Trophée des Champions) ont assigné fin 2024 devant le tribunal judiciaire de Paris les principaux fournisseurs de réseau privé virtuel (en anglais Virtual Private Networks, VPN) : NordVPN, Proton VPN et Cyberghost. Canal a attaqué en sus Surfshark VPN et Expressco Services/Express Technologies Limited, les éditeurs d’ExpressVPN.
Toutes ces sociétés ont pour point commun d’offrir des solutions permettant de sécuriser la navigation des internautes en masquant l’adresse IP de la connexion. Avec un tel outil, l’utilisateur peut se localiser virtuellement dans un autre pays que la France, parmi des milliers de serveurs à travers le monde que ces solutions proposent. Officiellement, ces services très populaires permettent à leurs utilisateurs de protéger leurs données personnelles. Mais pour les ayants droit, ils servent surtout à contourner les décisions de blocage de sites, qui ne s’appliquent qu’à un seul pays. Comme de très nombreux tutoriels en ligne l’expliquent, le VPN permet par exemple à un Français de se localiser en Belgique et donc d’accéder à un site pirate dont le nom de domaine est pourtant bloqué chez son fournisseur d’accès à Internet (FAI) à la demande de la justice. Selon nos informations, Canal réclame le blocage de 203 adresses, auxquels s’ajoutent une trentaine d’autres désignées par la LFP.

Cette étape ressemble à la dernière marche d’une lutte contre ces diffusions illicites des matchs. En 2022, les chaînes et les organismes professionnels avaient réservé leurs premières vagues d’assignation aux sites de streaming et d’IPTV, des services de diffusion de programmes audiovisuels via une application ou une box connectée au téléviseur. En 2023, le front s’est étendu à Google, Cisco et Cloudflare, pour leur casquette de fournisseurs de DNS alternatifs, à savoir des annuaires permettant de convertir un nom de domaine en une adresse IP, concurrents à celui installé par défaut par les FAI. La bataille s’étend désormais aux fournisseurs de VPN, après plusieurs appels du pied venu des institutions publiques.
En avril 2024, l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) avait relevé que 57 % des internautes utilisaient cette solution pour des pratiques illicites. Dans sa réponse à une consultation lancée par la Commission européenne en février 2023, la même autorité avait invité les titulaires de droits à s’attaquer aux « nouveaux modes d’accès aux services illicites » en sollicitant « l’ensemble des acteurs susceptibles d’intervenir pour faire cesser les atteintes aux droits ». Et parmi eux, les fournisseurs de VPN. Une ligne partagée par la Commission dans une recommandation d’avril 2023.

Pour faire contribuer les réseaux privés virtuels à sa lutte, La LFP et Canal+ se sont appuyés sur l’article 333-10 du Code des sports, un dispositif qui permet aux ayants droit du secteur de demander à la justice « toutes mesures proportionnées » taillées pour prévenir ou faire cesser une atteinte à leurs intérêts « à l’encontre de toute personne susceptible de contribuer à y remédier ». Un champ d’application suffisamment large pour faire entrer de nouveaux intermédiaires techniques dans la boucle de la lutte anti-piratage. Dans le cœur de la bataille, la chaîne a ciblé de nombreux services d’IPTV (comme boxtv60.com ou fmytv.com) et de sites de streaming (comme Ishunter.net, Antenasports.ru ou Rojadirectahdenvivo.com) accusés de diffuser des matchs de la Premier League, de la Ligue des Champions et du Top 14. Plusieurs dizaines avaient déjà été considérées comme illicites dans trois décisions rendues les 20, 24 octobre et 7 novembre 2024 par le tribunal judiciaire de Paris, qui en avait alors ordonné le blocage chez les FAI. La chaîne ajoute 130 autres adresses, déjà dénoncées à l’Arcom, apparues après ces trois décisions. La LFP cible pour sa part une trentaine d’autres adresses, dont plusieurs sites d’IPTV comme Popcorn IPTV, Net IPTV, Facto IPTV, Movie Live IPTV, DINO TV et WhishIPTV.
Selon les vœux de la chaîne et de la ligue, les fournisseurs de VPN doivent bloquer ces services durant tout le calendrier des matchs respectifs des compétitions, soit jusqu’au 25 juin 2025 pour la Premier League, le 28 juin pour le Top 14 et le 31 mai 2025 pour la Ligue des champions. Pour la LFP, ces mesures doivent s’étendre jusqu’au 25 mai 2025. L’une et l’autre réclament ces restrictions dans les trois jours et demandent que l’Arcom soit autorisée à mettre à jour la liste noire des sites à bloquer, si d’autres adresses venaient à reprendre les flux de ces catalogues postérieurement à la décision. Le jugement n’est pas attendu avant plusieurs mois. Contactée, aucune partie n’a répondu à nos sollicitations au moment de la publication de notre article.
Mise à jour 16h48 : contactée par l’Informé, la LFP confirme avoir sollicité « la mise en œuvre de mesures par plusieurs VPN (…), visant ce que ces intermédiaires professionnels mettent en œuvre des mesures propres à empêcher la violation de nos droits ». Conformément au dispositif législatif en vigueur, « ces demandes prennent la forme d’une demande auprès du juge qui permettra par la suite, si le président du tribunal judiciaire y fait droit, une actualisation sous l’égide de l’Arcom ».
Mise à jour 07/02/25, 9h27 : La VPN Trust Initiative (VTI), coalition qui représente les intérêts d’ExpressVPN, NordVPN et SurfShark notamment, s’oppose « fermement » à ce recours initié par les titulaires de droits du sport. Une telle affaire « représente plus qu’un litige juridique localisé », estime-t-elle, craignant un « précédent dangereux pour la liberté mondiale sur Internet ». Elle relève que déjà, « la restriction des services VPN est très répandue dans des pays comme la Chine, la Russie, le Myanmar, l’Iran, etc. »
Mise à jour 12/02/25 15h10 : « Cette injonction est une porte ouverte à d’autres abus et porterait atteinte à la nature même des VPN, censés offrir une navigation privée et sécurisée, réagit Proton. Empêcher les utilisateurs d’accéder à certains sites Web nécessiterait par ailleurs des changements majeurs qui porteraient atteinte à la vie privée des utilisateurs et ouvriraient la porte à des attaques plus dangereuses contre la vie privée et la liberté d’expression ». De l’aveu de la solution de sécurité, « Proton VPN a été la cible directe de nombreux régimes autoritaires. Nous n’avons jamais vu une telle attaque de la part d’un pays démocratique. Celle-ci intervient en même temps qu’un récent projet de loi voté par le Sénat visant à briser le chiffrement de bout en bout, menaçant potentiellement la sécurité en ligne de millions d’entreprises et de citoyens français ». L’entreprise promet d’ores et déjà de porter cette action en justice « jusqu’à la Cour de justice européenne ».