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Continuer la lectureIntelligence artificielle : la SACD peine à faire payer ChatGPT et Google Gemini
La société de gestion collective des auteurs espérait décrocher de juteuses rémunérations de la part des principales solutions d’intelligence artificielle. Six mois après leur avoir écrit, le résultat est quasi nul.

La société des auteurs et compositeurs dramatiques, organisme chargé de récolter les droits pour ses 60 000 membres dans le secteur du cinéma, de l’audiovisuel ou encore du spectacle vivant, ne décolère pas. En avril 2024, elle avait écrit à l’ensemble des plateformes d’intelligence artificielle (IA) notamment générative, dont OpenAI (pour ChatGPT), Google (Gemini) et MistralAI (Le Chat), pour leur souligner que la collecte et l’exploitation des données traitées par leurs systèmes « peuvent inclure des œuvres dont la gestion nous a été confiée par nos membres-auteurs ». Dans ce courrier, consulté par l’Informé, la SACD considère ces pratiques interdites, même aux fins d’entraînement, sans son autorisation préalable et perception d’une « rémunération appropriée des auteurs ». Six mois plus tard, l’initiative n’a pas vraiment porté ses fruits.
Dans cette missive, la société de gestion collective a rappelé aux géants de l’IA avoir « expressément mis en œuvre le droit d’opposition pour les répertoires qu’elle représente ». Une formalité ouverte par la directive du 17 avril 2019 sur le droit d’auteur dans le marché unique numérique. Ce texte européen a institué une vaste entaille dans le monopole conféré traditionnellement aux titulaires de droits : il autorise toutes « les reproductions et les extractions d’œuvres (…) aux fins de la fouille de textes et de données », et ce peu importe la finalité de ces traitements, comme l’IA, laquelle a besoin de grandes quantités de données pour ses entraînements. La seule condition exigée par le législateur est la licéité de l’accès aux œuvres. De leur côté, les auteurs peuvent échapper à ce régime très favorable à l’innovation, en faisant jouer une option de retrait (dite d’opt-out). Cette réservation des droits doit simplement se faire, dit la directive, « de manière appropriée, notamment par des procédés lisibles par machine pour les contenus mis à la disposition du public en ligne ». De l’avis de la SACD, qui a fait jouer ce droit de retrait, l’usage des œuvres de son catalogue exigerait une négociation et donc le versement d’une rémunération.
Pour l’heure, peu de suites notables à ce courrier, si ce n’est la signature d’un protocole d’accord avec Genario, une solution française d’écriture de scénario basée sur des IA génératives comme ChatGPT d’OpenAI. Et encore, ce rapprochement en cours a déjà fait bondir le Syndicat des Scénaristes (SdS), qui accuse la SACD de légitimer « le pillage des œuvres audiovisuelles déjà effectué par les géants de l’IA en contrepartie d’un pourcentage du chiffre d’affaires d’une start-up française ». Les géants de l’IA ont surtout fait peu de cas de la missive, à l’exception de l’américain Anthropic, père de la solution Claude, qui serait le seul à avoir adressé une « réponse formelle » à la société civile. « Leur réponse ne nous convient pas car selon eux, il nous reviendrait de prouver que leur IA a bien aspiré nos contenus, tempête Pascal Rogard, le directeur général de l’organisme de gestion collective. C’est n’importe quoi ! Ils inversent la charge de la preuve ! » Autre difficulté, la forme même de l’opt-out soulève des conflits d’interprétation entre les parties prenantes. La SACD a fait confirmer en assemblée générale le 27 juin 2024 avoir la capacité à gérer les utilisations de son répertoire par les IA. Seulement, du côté des industriels de la tech, la posture est de rappeler que l’opt-out doit impérativement être formalisé œuvre par œuvre, auteur par auteur, par des procédés lisibles par des solutions technologiques. Une exigence inaccessible selon l’organisme. « On ne peut pas faire dans la dentelle. Notre rôle est la gestion collective de tout un répertoire », réagit à ce titre Hubert Thillet, directeur juridique de la société. Il plaide en faveur d’un droit de retrait global, seule solution possible. « Nous avons exercé l’opt-out sur notre site et en écrivant aux opérateurs d’IA, mais on ne peut pas le faire à partir des empreintes numériques détenues par les producteurs audiovisuels ou sur les textes des scénarios et des autres œuvres qui ne se retrouvent pas sur le site de la SACD ». Pour le juriste, cette solution serait dans le clou du droit européen. « Le texte indique que l’opt-out peut se faire « notamment » par un procédé lisible par machine, non « uniquement » par cette technologie ».
La signature d’un accord de rémunération avec les acteurs de l’IA n’est donc pas encore assurée, d’autant que « nous sommes dans une phase où le droit n’est pas encore stabilisé », concède Pascal Rogard. Et pour cause, d’ici la fin de l’année, deux rapports sur l’IA sont attendus au sein du Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique (CSPLA), une instance chargée de conseiller la ministre de la Culture. Le premier chantier porte sur la question de la transparence des systèmes d’IA, l’autre sur la rémunération des titulaires de droit. Ces travaux ont été lancés en prévision de l’entrée en application du règlement européen sur l’IA ces prochains mois. Son article 53 leur impose de nombreuses obligations, comme la mise en place d’une « politique visant à se conformer au droit de l’Union en matière de droit d’auteur et droits voisins », afin tout particulièrement de respecter les réservations de droits exprimées par les auteurs. Ils devront aussi dresser « un résumé suffisamment détaillé du contenu utilisé pour entraîner le modèle d’IA à usage général », le tout accompagné d’une épaisse documentation technique donnant par exemple « des informations sur les données utilisées pour l’entraînement, les essais et la validation » dont « le type et la provenance des données ». Hubert Thillet admet que le sujet de ce règlement a été évoqué dans les échanges avec Anthropic. « Quand on a expliqué à la société américaine la nécessité d’avoir une autorisation pour utiliser nos répertoires et donc qu’ils devaient nous transmettre une méthode pour qu’on puisse procéder à ces identifications, puisqu’ils maîtrisent leurs sources et leurs techniques, ils nous ont répondu que le règlement IA n’était toujours pas encore en vigueur. Mais comme la plupart des œuvres seront à ce moment-là déjà intégrées, le temps qu’on ait tout identifié, il sera trop tard. »
Contactés, MistralAI, OpenAI, Google et Anthropic n’ont pas répondu à nos questions au moment de la publication de notre article.