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Continuer la lectureTemps de parole : non, CNews n’avait pas le droit de reléguer la gauche et le gouvernement au milieu de la nuit
La chaîne d’information passait les interventions de l’exécutif et de la gauche à des heures tardives pour consacrer ses journées à la droite et l’extrême droite. Cela lui a valu une mise en demeure de l’Arcom, qui vient d’être confirmée par le Conseil d’État.

Concentrer les interventions de certains partis politiques sur des créneaux horaires où seuls quelques insomniaques sont devant leur télé est bien une pratique condamnable. Tel est le verdict rendu ce jour par le Conseil d’État. La haute juridiction avait été saisie par CNews, qui contestait la mise en demeure que lui avait infligée sur le sujet l’Arcom (ex-CSA).
En pratique, la chaîne avait profité d’une faille dans la délibération du CSA qui régit les temps de parole à la radio et à la télévision depuis 2017. Ce texte fixe un principe simple : un tiers du temps de parole revient au gouvernement, et le reste doit être réparti entre les différents partis en fonction de leur « représentativité ». Mais, sans plus de précision, il ne dit rien sur les horaires de diffusion notamment. Face à cette ambiguïté, deux chaînes se sont engouffrées dans la brèche : LCI et surtout CNews, comme l’avait constaté le site Arrêt sur images. En pratique, le canal d’information du groupe Vivendi reléguait en pleine nuit des interventions du gouvernement et de la gauche, afin de pouvoir diffuser en journée plus de discours de droite et d’extrême droite. En octobre 2021, le président du CSA Roch Olivier Maistre avait prévenu : « Il n’est pas interdit d’effectuer des diffusions nocturnes, mais si l’exception tourne au procédé, il s’agit d’une dénaturation du principe de pluralisme et nous sommes fondés à utiliser les outils qui sont les nôtres pour y remédier. »
L’avertissement n’a pas suffi. CNews a persisté, suscitant une protestation de la France Insoumise auprès du CSA. Ce dernier a alors constaté que 45 % du temps de parole de ce parti était diffusé entre minuit et 6 heures du matin. Le 3 novembre 2021, le régulateur a envoyé un courrier appelant « fermement l’attention » de la filiale du groupe Canal Plus sur « la nécessité d’assurer une exposition plus équilibrée au regard des horaires de diffusion ».
Mais la chaîne d’information en continu a contesté l’analyse du régulateur. Le CSA a alors pris son chronomètre et comptabilisé les temps de parole entre le 1er octobre et le 15 novembre 2021. Verdict : les interventions du gouvernement ont été diffusées à 82 % la nuit (53 % pour la France insoumise). En journée, l’exécutif n’a représenté que 8,6 % du temps de parole (3,7 % pour les Insoumis). « L’exécutif et la France Insoumise ont été les seules catégories d’intervenants à faire l’objet de conditions de programmation aussi massivement défavorables », concluait le gendarme de l’audiovisuel. Le 3 décembre 2021, le CSA a donc infligé une mise en demeure à la filiale de Vivendi, qui l’a contestée devant le Conseil d’État.
Ce vendredi, les juges du Palais Royal ont donc confirmé l’analyse du gendarme : « Si aucune disposition législative ou réglementaire ni aucune stipulation ne précise expressément que le respect des obligations doit s’apprécier en tenant compte des heures de diffusion, il résulte de l’objet même de ces dispositions que ces obligations ne sauraient être regardées comme respectées sans tenir compte des horaires de diffusion ».

L’esprit et la lettre
Sur le fond, le régulateur a admis que sa délibération de 2017 n’abordait pas la question des horaires de diffusion. Mais il estimait que son texte est dévoyé « si les interventions sont essentiellement diffusées la nuit, à des heures où l’audience est très faible ». En effet, « les interventions politiques doivent être diffusées dans des conditions permettant que le public en soit réellement destinataire ». Autre argument : CNews a signé une convention avec le CSA qui l’oblige à « assurer le pluralisme de l’expression des courants de pensée et d’opinion ».
En tout cas, même si la chaîne a contesté cette remontrance, elle s’y est conformée, à en croire l’Arcom : « depuis la mise en demeure, entre le 16 novembre et le 31 décembre 2021, la proportion des interventions de l’exécutif et de la France insoumise diffusées la nuit a diminué de manière progressive et significative », même si une part « significative » du temps de parole gouvernemental restait réservée aux noctambules.
CNews avait déjà subi d’autres rappels à l’ordre concernant le temps de parole des politiques, cette fois en période électorale, séquence où les règles en vigueur tiennent compte des tranches horaires. Lors de la présidentielle de 2017, elle avait hérité d’une mise en garde pour « manquement caractérisé » au principe d’égalité des temps de parole des candidats. Puis, lors des régionales de 2021, elle avait écopé d’une mise en demeure pour avoir trop tendu son micro à Philippe Ballard, tête de liste du Rassemblement national à Paris. Il avait été invité neuf fois pour une durée totale d’une heure, mais la chaîne avait déclaré au CSA qu’il avait parlé seulement 7 minutes…
« Jamais eu de problème »
Interrogé sur le sujet, le directeur général Serge Nedjar avait affirmé : « En cinq ans, il n’y a jamais eu un seul manquement au temps de parole. Et pourtant, nous avons reçu régulièrement des mises en garde préventives. La dernière [sur le temps de parole nocturne] datait du 3 décembre 2021, alors que nous avions jusqu’à la fin de l’année 2021 pour équilibrer le temps de parole » (la mise en demeure du 3 décembre 2021 enjoignait la chaîne de se mettre en conformité d’ici fin décembre 2021).
Pour sa part, le président du directoire de Canal Plus Maxime Saada avait prétendu lors d’une audition au Sénat : « nous avons toujours respecté le temps de parole, à toute période, sur toutes les périodes. Nous n’avons jamais eu un problème de respect de temps de parole, au moment où les périodes étaient écoulées. »
Concernant les rattrapages nocturnes, il avait affirmé : « le CSA nous a indiqué qu’il y avait un sujet sur le temps de parole la nuit, qui était une pratique absolument courante de toutes les chaînes d’information (sic), il n’y avait pas de règles sur ce sujet-là. À partir du moment où le CSA nous a indiqué qu’il y avait un sujet là-dessus, nous nous sommes conformés. C’est compliqué de se conformer à des règles avant même que les périodes ne se soient écoulées… »
Enfin, concernant la mise en demeure du 3 décembre 2021 sur le temps de parole nocturne, il avait argué : « cette mise en demeure avant même que la période se soit écoulée était préventive et inédite. C’était une innovation. On nous a jugés avant que la période ne soit écoulée : c’est une première ! Au 31 décembre 2021, nous avions parfaitement respecté les temps de parole. »

Après une mise en garde, LCI est rentré dans le rang
L’autre chaîne férue de diffusions nocturnes était LCI. Là encore, la pratique avait été relevée par Arrêt sur images en décembre 2020. Suite à cela, Europe Écologie les Verts avait protesté auprès du CSA. Le régulateur avait alors écrit à la chaîne d’information du groupe TF1, lui demandant « d’assurer une exposition plus équilibrée au regard des horaires, compte tenu du caractère excessif du procédé auquel a eu recours LCI, de nature à détourner le sens des règles », indique le rapport sur les obligations du groupe TF1. Mais, un an plus tard, Arrêt sur images constatait toujours un « déluge nocturne de gauche et du centre : LCI continue de remplir ses quotas avec sa programmation nocturne, qu’ils concernent la gauche ou le gouvernement ». Suite à cela, selon nos informations, l’Arcom a infligé à l’automne 2021 une mise en garde, déplorant qu’une proportion « significative » du temps de parole de l’exécutif soit reléguée la nuit, et que « le caractère excessif de ce procédé était de nature à détourner le sens des règles en vigueur ». Interrogée, LCI indique « avoir retravaillé ses pratiques » suite à cette mise en garde, et n’avoir « reçu aucune nouvelle remarque de l’Arcom depuis ». Elle assure désormais « ne pas rattraper les temps de parole la nuit », car « les temps des différentes formations sont équilibrés de jour ».
CNews de plus en plus rappelée à l’ordre
CNews aborde régulièrement la question du laxisme de la justice, et vient encore de commander un sondage sur le sujet. Le paradoxe est que, dans son domaine, la chaîne est une des plus délinquantes du PAF. Depuis 2015, elle a reçu 23 rappels à l’ordre de l’Arcom (ex-CSA). Précisément, le gendarme de l’audiovisuel a infligé 11 mises en garde (sa réprimande la moins sévère), 10 mises en demeure, et 2 sanctions (sa réprimande la plus sévère). Une troisième sanction est à l’étude.