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Continuer la lectureProduits défectueux, management nébuleux… comment Louise Aubery a planté sa marque de lingerie « inclusive »
« Je ne sais quoi », la griffe lancée en 2020 par l’influenceuse et podcasteuse de France Inter, aussi connue sous le nom de MyBetterSelf, est à l’arrêt depuis un an. Un échec prévisible.

« Confortable. Flatteur. Éthique. Inclusif. Les sous-vêtements qu’on n’a plus envie d’enlever. » Voilà ce que promet la marque de « lingerie inclusive » Je ne sais quoi sur son compte Instagram suivi par près de 80 000 abonnés. Sa fondatrice, Louise Aubery alias MyBetterSelf, 613 000 followers à son actif, est devenue au fil des ans une référence dans le milieu de l’influence français. Créatrice du podcast à succès Inpower et autrice d’essais, cette jeune femme de 27 ans, qui se définit également dans sa bio Instagram comme une « entrepreneure », s’était donc aussi lancée en 2020 dans la lingerie féminine.
Oui mais voilà. Cinq ans plus tard, le site de la marque Je ne sais quoi n’est plus accessible. Sa page Instagram n’est plus mise à jour. Et les consommatrices sont dans le flou. Sur le dernier post de Je ne sais quoi, elles sont nombreuses à s’impatienter : « Impossible de trouver le site, est-ce normal ? » « La question c’est pourquoi on ne communique pas ? » Depuis cette dernière publication en juin 2024, silence radio. Ou presque : en réponse à un commentaire parlant d’une possible liquidation, @jenesaisquoi avait alors répondu « ben, parce qu’elle [l’entreprise, ndlr] a pas du tout été liquidée lol ». Une réponse depuis effacée, écrite « maladroitement » par « un proche », nous indique Louise Aubery. Mais, selon nos informations, l’ensemble des salariées ont quitté l’entreprise début 2024, sous la forme de ruptures conventionnelles ou de démissions. Louise Aubery a conservé une partie du stock de lingerie et donné le reste à des associations. Depuis, l’aventure de Je ne sais quoi est en pause.

« Elle n’avait pas les épaules »
« Si je n’ai pas encore communiqué, c’est parce que je n’ai pas encore la réponse moi-même, explique Louise Aubery à l’Informé. Je n’avais pas anticipé à quel point prendre le temps de la réflexion pouvait être mal perçu. » Elle assure qu’elle est actuellement en discussion avec « d’autres marques » en vue d’un éventuel rachat. Elle ne veut pas, en effet, la relancer seule. « Ce sont des process très longs parce que chacun donne ses conditions, explique la diplômée de Sciences Po. Je veux être sûre qu’en cas de reprise, l’acheteur ne va pas bafouer les valeurs sur lesquelles la marque a été fondée. J’espère pouvoir éclaircir les doutes à la rentrée. Et, si rien n’est encore fait, au moins statuer sur une mise en pause. »
Dans cette attente, les tribulations récentes de Je ne sais quoi font du bruit dans le milieu de l’influence, mais n’étonnent pas les connaisseurs du dossier. Produits défectueux, SAV catastrophique, équipe épuisée… Les ex-salariées et clientes de Je ne sais quoi dont l’Informé a recueilli le témoignage dessinent un portrait bien sombre de l’entreprise. Si une ancienne employée reconnaît le « génie en termes de capacité de synthèse et d’analyse » de son ex-patronne, elle pointe aussi son manque de professionnalisme : « Elle n’avait pas les épaules pour gérer une entreprise, elle était dépassée, elle se reposait beaucoup sur l’équipe. On est toutes parties parce qu’on était fatiguées et que c’était difficile. »
« Je déteste vraiment la compta »
« C’est très compliqué de travailler avec Louise, abonde une autre ex-salariée. Elle ne pose pas de limites. Tu dois être disponible tard le soir et le week-end… » La jeune femme a « hésité à aller aux prud’hommes ». Avant de renoncer, en raison de son épuisement et de sa peur d’être grillée dans le milieu. Les anciennes salariées interrogées dénoncent toutes une charge de travail bien trop importante : « Louise voulait faire des économies, du coup l’équipe était complètement sous-staffée », explique l’une d’entre elles. Des épisodes précis ont particulièrement marqué les équipes : alors qu’elles s’occupaient pendant des week-ends de pop-up de la marque [des boutiques éphémères, ndlr], plusieurs collaboratrices n’ont pas été payées. « On proposait à chaque personne qui travaillait sur un pop-up de pouvoir prendre un jour ou deux de repos pour compenser. Il s’avère qu’en effet peu l’ont fait mais cette possibilité existait », rétorque Louise Aubery. Et l’influenceuse justifie la surcharge des équipes car son entreprise « autofinancée » était « limitée par les moyens du bord ». Une autre salariée raconte aussi, preuves à l’appui, avoir été payée « deux mois par deux mois » au lieu de mensuellement. La justification ? « Je déteste vraiment la compta et à chaque fois c’est pénible de le faire », lui a expliqué Louise Aubery dans un enregistrement consulté par l’Informé. Cette dernière qui nous a transmis un mail de son comptable attestant que « 90 % des salaires ont été versés mensuellement pour l’entreprise Je ne sais quoi entre 2020 et 2024 », assure que ce cas « n’était pas la norme » : « Il y a dû avoir des écueils financiers et comptables. [...] C’est pour ça que j’avais une directrice générale et un comptable parce que je pense aussi que chacun a son domaine de compétence. »
À ces dérapages de gestion s’ajoutent des écarts de comportement avec les équipes. « Quand elle enregistrait des vidéos au bureau, elle n’avait pas du tout la même attitude avec nous selon que la caméra était allumée ou non, se souvient l’une d’entre elles. Elle dit qu’elle est dans la bienveillance, que tout le monde est beau… Mais ce n’est pas ce qu’elle pense réellement. Il y a un gros gap entre ce qu’elle véhicule et le manque d’estime et de considération qu’elle a envers les gens. Il y a quelque chose de très autocentré, d’égoïste. » Assez cash, Louise Aubery admet : « J’ai totalement conscience de mon manque de compétence en management. J’ai l’habitude de me donner vraiment beaucoup : j’ai donc eu du mal à réaliser que ce n’était pas le cas de tout le monde. » Si elle précise à l’Informé que ses salariées ont « davantage travaillé des jours normaux que des nuits entières ou que des week-ends complets, même si c’est arrivé », elle assure aujourd’hui s’être « améliorée » en termes de management. « J’aurais dû me fier au droit du travail en suivant à la ligne ce que ça demande en termes d’horaires, de respect. Je pense avoir été naïve du fait de mon jeune âge notamment sur le fait qu’on pouvait peut-être se permettre d’être un peu plus flexible. Et c’est quelque chose que je ne refais plus du tout. Par exemple, je n’envoie plus de message le soir, sauf en écrivant noir sur blanc, vous n’êtes pas obligé de répondre. Au niveau des horaires, il n’y a plus aucun dépassement. »
« Je n’avais pas le don d’ubiquité »
« Elle sait s’entourer de gens passionnés et compétents, qui ne comptent pas leurs heures, mais elle leur accorde très peu de confiance et ne tient pas compte de leur expertise », ajoute une ex-salariée. En témoigne un problème lié à la qualité d’une collection d’un ensemble de lingerie. « On l’avait alertée que le genre de finition qu’elle souhaitait était très beau mais que ça ne tiendrait pas dans le temps. Elle n’en a pas tenu compte. » Des clientes qui ont reçu des produits qu’elles estiment défectueux ont donc exprimé leur colère. C’est le cas de Célia* qui, après avoir porté les sous-vêtements pendant un an et demi, les a vu se déchirer et se décoller, malgré un respect scrupuleux des conseils d’entretien. Alors qu’elle avait contacté le SAV, la jeune femme a eu le plus grand mal à obtenir de l’aide. « J’avais acheté les produits car je trouvais la démarche intéressante et je voulais soutenir le projet », regrette-t-elle auprès de l’Informé. Après un an d’aller-retour, elle a fini par se faire rembourser la moitié de sa commande, après intervention personnelle de Louise Aubery.
Célia est loin d’être la seule à avoir rencontré des problèmes avec sa commande : sur Trustpilot, la marque affiche une note de seulement 3,1/5. Décoloration, décollement, non-remboursement ou non réception des produits… de nombreuses jeunes femmes y exposent leur mécontentement. Un résultat inévitable, au vu du développement des produits, analyse une ex-collaboratrice : « L’objectif, c’était de sortir de la super qualité qui répond à des vrais besoins, le tout, à bas coût… Mais c’est impossible. » « Le pourcentage des produits défectueux était autour de 2 %, ce qui est inférieur à la moyenne dans le monde des vêtements, assure de son côté Louise Aubery. Très certainement, pour le premier drop [collection, ndlr], il n’y avait pas assez de produits qui étaient au niveau de ce qu’on aurait voulu. Mais on a vraiment essayé de régler ça par la suite. »
Aussi, plusieurs estiment que Louise Aubery n’a pas pris suffisamment ses responsabilités tout au long du projet. Notamment début 2024, quand sur Threads, la créatrice de contenu a reconnu avoir « merdé », mais en indiquant qu’elle regrettait d’avoir « délégué le fonctionnement opérationnel de Je ne sais quoi ». Une prise de parole jugée particulièrement blessante par les équipes : « Elle les a totalement incriminées, ça a été très dur pour elles de vivre ça », explique une observatrice. « Elle nous a jetées sous le camion alors qu’elle était censée tenir la baraque », siffle une autre. Aujourd’hui, la podcasteuse reconnaît une prise de parole « maladroite » et se dit « navrée ». « J’ai voulu démontrer et justifier mon ignorance. Je n’ai jamais été au courant, par exemple, que des prestataires n’avaient pas été payés. J’aurais dû l’être, c’est aussi de ma faute. »
À plusieurs reprises lors de notre entretien, la fondatrice de la marque a reporté la plupart des problèmes sur son ancienne directrice générale. Elle « gérait le day to day, l’administratif, le versement de salaires, le paiement des prestataires. Je m’occupais pour ma part de l’image de la marque, des rencontres avec des collaborateurs, de la communication ». Même si Louise Aubery considère qu’« à la fin de la journée, la plus grande responsabilité de contrôle reposait sur [elle] », elle précise : « Je n’avais pas le don d’ubiquité. Je ne passais pas derrière elles [les salariées] chaque jour pour voir que tout avait été fait mais je sais qu’elles ont chacune fait de leur mieux, même si c’était imparfait ». Quant aux clientes encore mécontentes, Louise Aubery les invite à « continuer à envoyer des messages privés, parce qu’[elle] essaie d’y répondre autant que possible ». Finalement, la créatrice de contenu l’assure à l’Informé : « J’ai toujours fait de mon mieux. Je ne sais quoi n’a jamais été un projet pour m’enrichir mais un projet pour apprendre. D’ailleurs, je ne me suis jamais versé un seul centime. »
« Son mythe de la ‘girl boss’ est passé »
« C’est une touche-à-tout mais qui ne va pas jusqu’au bout des choses. Je pense que pour elle, avoir une marque était juste une case à cocher dans sa vie d’influenceuse. Mais dès qu’il fallait rentrer dans l’opérationnel ça ne l’intéressait plus du tout », analyse une ex-collaboratrice. Aujourd’hui, Louise Aubery semble en passe de tourner la page de l’entrepreneuriat. Elle anime depuis mai dernier un nouveau podcast sur France Inter, Adulescence, qui sera diffusé à l’antenne cet été. Elle y reçoit des invités comme Salomé Saqué, André Comte-Sponville ou encore Sophie Galabru. L’ambition ? S’interroger sur ce que veut dire être un adulte et « comment le devient-on quand on n’a pas eu de mode d’emploi ». Nina Rolin, fondatrice de Leaks Media, un média sur les marques et les influenceurs, et autrice d’une vidéo Instagram sur le sujet, analyse le virage pris par l’influenceuse : « Selon moi, Je ne sais quoi n’a pas fonctionné car il y a eu un vrai problème de vision, analyse cette doctorante en sémiologie auprès de l’Informé. Son mythe de la ‘girl boss’ est passé et elle essaie notamment avec ce podcast de se réinventer un profil d’intellectuelle. »
Une autre créatrice de contenu spécialisée dans l’analyse des influenceurs, Siduzl, s’était déjà intéressée à la figure de Louise Aubery. D’abord à travers une première vidéo publiée en octobre 2023 intitulée « La face cachée de MyBetterself ». Elle y abordait divers sujets comme la campagne controversée de l’influenceuse avec la marque de protections hygiéniques Nana ou encore la remise en cause de son combat « bodypositive ». Après cette première vidéo, Siduzl avait reçu une nouvelle vague de témoignages et avait réalisé une suite. Elle y avait alors parlé plus en détail de Je ne sais quoi et notamment des difficultés rencontrées sur des shootings par certaines influenceuses moins connues, à qui on promettait d’être « payée en visibilité ». Elles ont finalement eu le plus grand mal à être identifiées sur les posts insta de la marque mais aussi à recevoir les ensembles de sous-vêtements gratuits leur ayant été promis, apprend-on dans la vidéo. Siduzl évoque aussi des prestataires non payés. « Ce qui m’a frappé, c’est que les personnes lésées étaient majoritairement des femmes, explique la jeune femme à l’Informé. Make-up artists, mannequins, salariées… Pour quelqu’un qui se revendique du féminisme, c’est cocasse. »
*Prénom d’emprunt.