L'abonnement à l'Informé est à usage individuel
Un autre appareil utilise actuellement votre compte
Continuer la lectureOui, la Sacem touchera bien des droits sur les musiques d’enterrement
Les Pompes Funèbres Générales ne voulaient plus rémunérer les ayants droit estimant que les obsèques se déroulaient en cercle privé. La justice leur a donné tort.

Entre les larmes et les souvenirs, pas sûr que la famille se soit aperçue de sa présence. Ce matin de novembre, au crématorium parisien du Père-Lachaise, ils étaient une quarantaine de malheureux à rendre un dernier hommage à un proche décédé. En étonnante compagnie. Non loin d’eux, un drôle d’espion observait, ou plutôt écoutait. Sa mission ce jour-là ? Lister les chansons choisies pour accompagner l’évènement : « des haut-parleurs diffusaient une œuvre musicale de Michel Jonasz pendant l’installation du public, des musiciens ont interprété quatre œuvres musicales au piano et à la guitare pendant la cérémonie elle-même et des extraits d’œuvres musicales ont été diffusés pour accompagner la projection de photos du défunt à la fin de la cérémonie », selon ses constatations. Derrière cette surprenante enquête ? La Sacem.
Si la Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique est allée envoyer ses plus fins limiers dans les cimetières, c’est pour faire casquer le leader des croque-morts, OGF, propriétaire des Pompes Funèbres Générales. Car traditionnellement, les organisateurs d’obsèques s’acquittent de droits de diffusion lorsqu’ils utilisent des airs connus lors des célébrations. Mais, mécontent des montants demandés, le géant de l’enterrement a décidé d’arrêter de payer et a attaqué en justice les organismes de collecte (la Sacem et la Spré) pour échapper à la dîme. Seulement voilà, après de longs mois de bataille, les arguments des ayants droit - et leur enquête de terrain - ont payé : le tribunal judiciaire de Paris vient de débouter OGF. Il a même condamné le groupe pour contrefaçon, pour avoir joué des musiques sans autorisation. La juridiction lui impose de verser à la Sacem une ardoise contractuelle de près de 70 000 euros et 10 000 euros de dommages et intérêts. Un montant bien moindre que les centaines de milliers d’euros espérés par la société de gestion collective, mais qui pourra évoluer à la hausse puisque OGF est enjointe de lui chiffrer l’ensemble des cérémonies organisées ces dernières années. S’ajoutent près de 36 500 euros de rémunération équitables pour la SPRé, et enfin 10 000 euros pour couvrir les frais de justice des deux représentants des industries culturelles.
Au départ, tout ce petit monde s’entendait pourtant bien. Le 4 octobre 2006, OGF et la Sacem signaient un contrat dit de « représentation », reconductible tacitement chaque année, couvrant tous les Hallelujah et autres Tears in Heaven souvent diffusés lors des ultimes adieux, contre un forfait de 1,93 euro HT par cérémonie. C’est en novembre 2019 qu’un clou a été planté dans le cercueil de cet accord lorsque la Sacem a revu ses tarifs à la hausse : désormais, il faudra payer 3,33 euros HT, soit +72 % par rapport au barème précédent. Le spécialiste des enterrements refuse et considère même que le contrat désormais résilié aurait dû être annulé du fait notamment d’une jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne qu’il estime favorable à ses intérêts. OGF assigne en 2020 la Sacem, s’agissant des droits d’auteur, et la SPré, le collecteur de la rémunération équitable, pour obtenir remboursement de toutes les sommes indûment payées dans les délais non prescrits, soit plus 400 000 euros.
À la barre, OGF considère que les musiques diffusées lors des obsèques ne constituent pas une « communication au public » : ce critère permet de justifier le paiement de droit, mais seulement lorsqu’une œuvre protégée est télédiffusée dans un lieu ouvert à tous (par exemple au moyen d’un écran de télévision accroché au mur d’un café-restaurant). Le groupe OGF a fourni plusieurs chiffres dans ses écritures pour démontrer que les cérémonies sont aujourd’hui organisées devant un public de plus en plus restreint. Le spécialiste des pompes funèbres considère aussi que ces diffusions dans un cercle limité à la famille et aux quelques amis venus pour la cérémonie lui offrent le bénéfice d’une exemption prévue par le Code de la propriété intellectuelle.
Mais le tribunal ne l’a donc pas entendu ainsi, estimant que la diffusion des musiques lors d’obsèques « est réalisée au public présent sur le lieu de la communication ». En application du seul droit français, OGF aurait donc dû décrocher l’autorisation des titulaires de droits. Quant à l’exception du cercle de famille, qui suppose une diffusion privée et cumulativement gratuite, le tribunal considère que s’agissant d’une société commerciale, cette prestation a nécessairement un volet économique inclus dans le prix final. Il a donc repoussé la demande de nullité du contrat et rejeté la demande de remboursement des sommes versées. Pire, comme OGF a continué à diffuser des musiques durant les cérémonies funéraires, après la résiliation du contrat en novembre 2019, les juges ont retenu l’existence d’actes de contrefaçon : « la diffusion par la société OGF d’œuvres musicales lors d’obsèques, sans autorisation préalable des titulaires des droits (...) constitue une représentation non autorisée de ces œuvres et, partant, une contrefaçon de droits d’auteur ».
La décision est encore susceptible d’appel. OGF, la Sacem ainsi que la SPRé n’ont pas répondu à nos sollicitations à la publication de cet article.