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Continuer la lectureLes comptes de CMA CGM déjà pénalisés par BFM et RMC
L’armateur marseillais a dû nettement déprécier la valeur de la chaîne d’information continue et de la radio, acquises à prix d’or auprès de Patrick Drahi en juillet dernier.

Une bonne affaire pour Patrick Drahi. Une moins bonne pour Rodolphe Saadé. L’an dernier, Altice vendait BFM et RMC au géant du fret maritime CMA CGM, pour la somme astronomique de 1,55 milliard d’euros. On savait ce montant exorbitant - il représentait 14 fois l’excédent brut d’exploitation (Ebitda) 2023 - même si « une influence politique, ça n’a pas de prix », indiquait-on du côté du vendeur. Moins de six mois après cette opération, l’armateur a, de fait, déjà revu à la baisse la valeur du groupe audiovisuel dans ses comptes, rabotée de… 250 millions d’euros, selon nos informations. Parallèlement, ses activités dans la presse (la Provence, Corse Matin, Latribune.fr et la Tribune Dimanche) ont enregistré des pertes de 46 millions d’euros (cf. encadré). Au total, la holding qui regroupe ces actifs, CMA Media, affiche donc un déficit net de 296 millions d’euros en 2024.
Pour Luc Paugam, professeur de comptabilité financière à HEC, « déprécier une acquisition revient à reconnaître qu’elle a été surpayée. Il est rare qu’une telle décision soit prise l’année même de la transaction, car les dirigeants rechignent généralement à se désavouer. Il arrive qu’ils préfèrent laisser à leur successeur le soin de gérer cette ‘patate chaude’. Mais un groupe à l’actionnariat familial, comme CMA CGM, peut adopter une logique différente. » Comment expliquer une telle dépréciation ? D’abord, entre le rachat de BFM RMC en juillet et la fin de l’année, les cours de Bourse des poids lourds de la télé ont baissé (-8 % pour M6, -4,5 % pour TF1, et -26 % ProsiebenSat1…) , ce qui a visiblement conduit l’armateur marseillais à réexaminer la valeur de son acquisition en revoyant à la baisse son plan d’affaires. Mais ce n’est pas tout. L’audience et la part de marché publicitaire de BFM RMC ont aussi reculé l’an dernier (cf. graphe ci-dessous). Pour ne rien arranger, la chaîne d’info en continu, jusqu’ici reine sur son segment, a été doublée par CNews sur les trois derniers mois de l’année dernière, une tendance qui se confirme en ce début 2025. De quoi possiblement détourner certains annonceurs tentés de rejoindre le nouveau leader du marché. En juin, lors de son audition pour le renouvellement des fréquences devant le gendarme de l’audiovisuel, l’Arcom, le PDG du groupe Rodolphe Saadé avait promis : « Je donnerai des moyens à Altice Media pour redevenir un acteur de premier plan. Je n’aime pas être numéro 2 ! »
Depuis la rentrée, des mesures ont été prises, et la valse des dirigeants s’est accélérée. Le directeur général de BFM, Marc-Olivier Fogiel, a ainsi laissé son fauteuil à Fabien Namias. Le directeur général délégué à l’information, Hervé Béroud, a quant à lui été remplacé par Jean-Philippe Baille. Plus récemment, Régis Ravanas en provenance de M6, est devenu directeur général de BFM RMC, poste jusque-là occupé par Nicolas de Tavernost, qui conserve un rôle de conseiller tout en prenant la tête de la filiale de la ligue de foot LFP Media.
Le plus dur reste toutefois à venir. Avec la nouvelle numérotation des chaînes prévue en juin, LCI et Franceinfo vont talonner BFM et CNews sur les canaux 15 et 16 (au lieu des 26 et 27 aujourd’hui). « TF1 sait qu’il a un coup à jouer pour devenir numéro deux avec LCI en passant devant BFM en difficulté, indique un connaisseur du secteur. La filiale du groupe Bouygues sent l’odeur du sang et va en profiter. » Mais le groupe BFM RMC est encore loin de la déroute - sur les six derniers mois 2024, il a généré une marge brute d’exploitation de 27 % sur un chiffre d’affaires de 188 millions d’euros (à peu près stable sur un an) - sans compter que la famille Saadé a les reins solides. « CMA CGM est là pour longtemps dans les médias et investit », assure un proche de l’armateur, aux 5,17 milliards d’euros de bénéfices.
Contacté, le groupe n’a pas souhaité faire de commentaire.
La Tribune Dimanche et la Provence toujours dans le rouge
Dans la presse aussi, l’armateur rencontre quelques difficultés. Après avoir racheté La Provence en 2022, le géant marseillais a rapidement dû en réduire la valeur dans ses comptes, de 102 à 24 millions d’euros. Plombé par la crise du secteur et des dépenses exceptionnelles (déménagement des équipes marseillaises, achats de matériel et nouveau système informatique…), le quotidien régional continue d’être déficitaire à hauteur de 30 millions d’euros, selon le Monde, même si des mesures ont été prises avec des départs non remplacés.
En parallèle, le lancement de la Tribune Dimanche et les lourds investissements associés ont aussi pesé sur les résultats de CMA Media. Pour un premier bilan contrasté. Selon l’ACPM, les ventes en kiosques ont reculé à 17 000 exemplaires en moyenne en 2024, en baisse de 22,3 % sur un an. Mais la base de comparaison n’est guère favorable puisque les chiffres 2023 couvraient seulement les trois premiers mois de lancement du titre, une période souvent aidée par un effet de curiosité. Les abonnements papiers ont, quant à eux, été multipliés par 2,7 (à 2 188 unités) et les numériques ont bondi de 82 % (à 12 353).