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Continuer la lectureLe Parisien, Les Échos et Le Figaro réclament 4,9 millions d’euros à un acteur de la veille stratégique
Les trois éditeurs ont attaqué le français Digimind, qu’ils accusent de piller leurs articles.

Digimind le promet à ses clients : avec ses logiciels de veille stratégique, elle peut capter tout ce qui se dit sur une entreprise, un marché, une tendance. Mais pour Le Parisien, Les Échos, et Le Figaro, trois titres de la presse d’information politique et générale (IPG), le pro de « l’écoute » est allé bien trop loin : selon les éditeurs, cette société grenobloise capterait sans la moindre autorisation quantité de leurs contenus réservés à leurs abonnés pour les proposer ensuite à ses clients (pour un coût de 10 000 euros par an). Selon les deux constats d’huissier en ligne et la saisie-contrefaçon effectuée dans ses locaux en février 2021, il a notamment pu être vérifié qu’un seul compte chez Digimind a permis d’accéder à très exactement 209 articles du Parisien, 463 du Figaro et même 927 des Échos, stockés dans les serveurs de l’entreprise.
« Je représente trois éditeurs confrontés à un acteur économique qui gagne très bien sa vie grâce aux articles de presse, qui n’a jamais demandé la moindre autorisation pour les utiliser et qui n’a jamais payé la moindre redevance pour les communiquer à ses abonnés » a fustigé Me Christophe Caron, leur avocat. Dans l’assignation déposée début 2021, les sommes réclamées atteignent des records : Les Échos demandent une somme forfaitaire de 1,9 million d’euros pour réparer le préjudice matériel et 190 000 euros pour le préjudice moral. Le Parisien sollicite respectivement 1,2 million et 120 000 euros. Enfin, Le Figaro demande 1,373 million et 137 600 euros. Soit un total de 4,9 millions d’euros. L’Informé était présent à l’audience organisée ce jeudi 29 février au tribunal judiciaire de Paris.
« Digimind pille autrui pour gagner beaucoup d’argent sans rien payer ! », a encore dénoncé leur avocat, l’index pointé sur des fiches produits de l’entreprise où l’on peut lire que « Digimind propose des bases de données clefs en main de plusieurs milliers de sources d’information avec de la presse en ligne » ou encore que cet outil « capture l’ensemble des sources digitales ». À la barre, il reproche à la société, propriété depuis 2022 d’Onclusive (ex-Kantar Reputation Intelligence), des actes de contrefaçons de masse par reproduction, communication, extraction et même réutilisation illicites.
Toujours selon lui, la société, qui a enregistré en 2022 12,1 millions d’euros de chiffre d’affaires, « utilise des robots qui vont visiter un très grand nombre de sites quotidiennement pour récupérer les contenus d’autrui et les proposer à ses abonnés ». Pire encore, quand l’utilisateur partage ces articles sur les réseaux sociaux, une autre des fonctionnalités de Digimind, il considère que les internautes peuvent les lire sans se rendre sur le site de l’éditeur de presse, et donc sans favoriser les revenus publicitaires du média par exemple.
Pour Me Caron, cela ne fait pas de doute : ce sont autant d’atteintes aux droits d’auteur associés aux articles, aux droits voisins des journaux en ligne (qui protègent les investissements) et même aux droits de ces producteurs de bases de données forts de milliers d’articles, trois piliers du code de la propriété intellectuelle. Il dénonce aussi le refus de Digimind de signer le moindre contrat de licence avec les trois éditeurs présents à la barre. En plus de la contrefaçon, Le Parisien, Les Échos et Le Figaro reprochent, de surcroît, à la société des faits de parasitisme, visant leurs investissements, avec un « pillage intentionnel » de Digimind qui peut en puiser un « avantage concurrentiel ».

Dans l’autre camp, maître Jean-Baptiste Soufron, avocat de Digimind, fustige la mauvaise foi de cette présentation, faite à partir de données complètement faussées dès le départ. Explication : selon la défense, l’huissier n’a constaté ces atteintes aux droits des éditeurs qu’à partir d’un compte de démonstration de la solution Digimind qui, reconnaît l’avocat, comprenait beaucoup d’articles. Ces contenus avaient été ajoutés au fil du temps par les prospects de Digimind pour servir de vitrine commerciale. « Ce compte n’est pas représentatif de celui d’un utilisateur normal », soutient-il. En principe, un nouvel abonné se retrouverait face à un espace vide, sans le moindre article. Digimind se contenterait de lui proposer des abonnements à des flux RSS (Really Simple Syndication, en français « publication vraiment simple ») venus du monde de la presse. Avec de tels flux, il est alerté automatiquement des dernières informations en cliquant sur les liens associés. En conséquence, lorsque ce nouveau client n’est pas abonné aux Échos, impossible pour lui de lire un article payant. S’il est abonné au journal économique, il peut le lire dans une nouvelle fenêtre depuis le site de l’éditeur, mais aussi l’importer sur son espace de stockage vendu dans l’offre Digimind où il pourra le partager auprès d’une communauté.
En somme, la société grenobloise revendique n’être qu’un simple hébergeur des articles importés par ses clients. « Contractuellement, ce sont donc les utilisateurs qui s’engagent à être responsables de leurs actions » a insisté l’avocat. Digimind réfute donc être ce contrefacteur massif décrit par Me Caron, revendiquant n’être qu’un prestataire d’une offre de cloud où l’internaute enregistre des contenus comme il pourrait le faire sur son iPhone ou son Android. « D’ailleurs, si vous faites une saisie-contrefaçon de tous les téléphones présents dans la salle d’audience, forcément vous trouverez des articles de presse », s’est amusé à imager Me Soufron. « À supposer même que Digimind permette à ses abonnés d’accéder aux flux RSS des éditeurs de presse, rétorque Me Caron, ce serait illicite. La Cour de justice de l’Union européenne l’a dit le 7 mars 2013. »
Sur un terrain plus procédural, Me Soufron a assuré que les constats n’auraient pas été réalisés dans les règles de l’art. « L’huissier a utilisé un ordinateur qui n’était pas le sien, sans vider le cache du navigateur ». De même, les pièces recueillies n’auraient pas été numérotées et la date d’enregistrement de plusieurs fichiers sur la clef USB produite ne correspondrait pas à celle de la saisie. « Nous n’avons aucune certitude que ce sont bien les captures d’écran faites pendant cette saisie ». Digimind réclame en conséquence une expertise judiciaire, réfutant vigoureusement l’existence d’une quelconque base de données cachée constituée à partir des sites de presse. « On ne vend pas d’article, on ne fait pas de captation en amont, c’est l’utilisateur qui met le flux RSS et récupère ensuite les informations », a résumé son avocat.

« 10 000 euros par an pour un lecteur de flux RSS, n’est-ce pas un peu cher ? » s’est étonné l’un des magistrats lors d’un échange en fin d’audience. « Les gens qui viennent sur Digimind ne font pas que de la veille média, ils font aussi et surtout de la veille sociale », a rétorqué Me Soufron, vantant les écoutes des réseaux sociaux proposées par son client. Autre question des juges : « si le compte de démonstration a faussé la compréhension et est à l’origine d’un malentendu entre les parties, pourquoi avoir, lors de la saisie, orienté l’huissier vers lui plutôt vers un compte ouvert pour les besoins de la procédure ? ». Cette fois, l’avocat a plaidé une possible « précipitation » dans le fil des événements. « L’huissier a tout de même dû attendre deux heures ! », a rebondi Me Caron, qui a aussi relevé que plusieurs des articles stockés dans le fameux compte de démonstration dataient du jour du constat.
Contactée, aucune des parties n’a souhaité répondre à nos questions. Le tribunal judiciaire rendra son jugement dans deux mois environ.