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Continuer la lectureCe que Caroline Fourest ne dit pas sur Alain Terzian dans son livre
Dans son nouvel ouvrage, l’essayiste s’attache à laver l’honneur de certains hommes emportés par la vague Me Too. Tout en oubliant de préciser ses liens financiers avec l’un d’eux : l’ancien patron des César.

« Un éclairage indispensable sur les ombres et lumières » de la révolution Me Too. C’est ainsi qu’est présenté, en quatrième de couverture, Le vertige Me Too, nouvel essai de Caroline Fourest publié chez Grasset. Celle qui se définit comme « féministe, journaliste et réalisatrice » déroule sur quelque 300 pages un argumentaire visant à « réfléchir de façon apaisée » aux conséquences de la libération de la parole des femmes qu’a permis le mouvement, et à le « protéger de ses excès ».
Dans l’ouvrage, la polémiste évoque notamment le sort d’Alain Terzian, puissant président de l’Académie des César poussé vers la sortie en 2020. Une enquête du Monde avait détaillé à l’époque les raisons de sa chute : sa gestion autocratique et opaque de l’institution, mais aussi sa difficulté à prendre en compte les voix réclamant davantage de diversité. Pourtant, sur trois pages, la directrice de l’hebdomadaire Franc-Tireur s’attache à réhabiliter le déchu. À la lire, le producteur s’est engagé « à tout entreprendre pour s’approcher de la parité » au sein du cinéma, mais n’était « plus audible ». Il a sauvé les César du gouffre financier et a « su les faire rayonner sans jamais se les approprier », sans que cela soit « porté à son crédit ». Ses rivaux ont pu « profiter de #MeToo et de la rumeur pour le dégager ».
Caroline Fourest le précise, Terzian ne lui est pas inconnu : « je le croise […] pour réaliser une comédie lesbienne et féministe finalement impossible à monter en raison de l’hostilité qui se lève contre lui ». Mais selon nos informations, l’essayiste a fait bien plus que « croiser » le producteur. L’Informé a pu consulter les (multiples) contrats conclus autour du projet de long-métrage en question, Drôle de genre. Ils courent de début 2020 à fin 2022 : les travaux autour du film ont donc duré trois ans. Surtout, pour cette collaboration, Fourest a touché un joli chèque de la part d’Alter films, la société de production de Terzian : 46 000 euros. 26 000 euros comme réalisatrice et 20 000 euros en tant que scénariste, versés dès signature des accords. Si le projet était allé au bout, l’autrice aurait dû empocher en tout 260 000 euros de la part de Terzian.
Le film n’a finalement pas abouti, malgré la mobilisation de six script doctors, payés 155 000 euros en tout par la production, pour améliorer le scénario de la polémiste. Le comédien Philippe Lellouche a notamment été appelé en novembre 2022 pour proposer des « modifications visant à donner une plus large part à la comédie et à l’humour entre les personnages ». À la même période, Christophe Barratier (réalisateur des Choristes) a été sollicité car « la version actuelle du scénario ne [permettait] pas en l’état d’aboutir à la mise en production du film ». La réalisatrice Aline Issermann, François-Xavier Decraene, Lionel Steketee (réalisateur de Case départ et Alad’2) et Patrick Pessis ont eux aussi été recrutés. Le budget total prévu pour le film était de 5 millions d’euros, apportés en partie par StudioCanal. Initialement, la participation des comédiens Guillaume Gallienne et Camille Cottin avait même été envisagée.
Par ailleurs, dans sa défense de Terzian, Fourest dit notamment que le producteur a été victime de rumeurs, et précise : « La plus insistante [rumeur] clame qu’il serait visé lui-même par une enquête de Mediapart. En réalité, ses journalistes ont retourné tout Paris, en vain. Elle ne sortira jamais. » Cela a été fermement démenti par le média en ligne qui assure n’avoir jamais enquêté, ou même prévu de le faire, sur le producteur. En revanche, le Monde a bien investigué et même trouvé plusieurs femmes qui ont fait l’objet de remarques et comportements sexistes ou de gestes déplacés de sa part. De son côté, Alain Terzian avait assuré auprès du Journal du Dimanche avoir toujours eu un comportement « parfaitement » irréprochable envers les femmes.
Interrogée, Caroline Fourest explique avoir « renoncé, faute de budget et d’accord artistique » au film en question. Et d’ajouter : « Je fais passer le respect des faits concernant [Alain Terzian] malgré le fait que notre collaboration ne s’est pas bien finie, et que j’ai renoncé à un projet avec lui. Juste parce que ça n’a rien à voir. Je n’ai pas de très bonnes relations avec Terzian depuis la fin de ce projet (donc pendant la rédaction de ce livre) mais je ne confonds pas les deux registres. C’est la vérité de faits qui comptent et de fait il a été injustement traité. « Croiser » veut dire qu’on se voyait ! Et à l’époque c’était de temps en temps, vu que le projet n’avançait pas. »
De son côté, Alain Terzian nous a fait parvenir cette réponse : « Concernant le film de Caroline Fourest pour qui j’ai estime et amitié nous n’avons pas réussi à trouver un distributeur et à réunir un casting satisfaisant malgré les efforts conjugués de Caroline et de mes collaborateurs et moi-même et le financement n’y était pas, et de loin… Nous avons donc travaillé à modifier le texte avec l’accord de Caroline qui a beaucoup de talent mais nous n’avons pas eu plus de réussite. Nous avons donc gelé le projet, aucune version n’étant satisfaisante pour avancer. Mais je ne désespère pas de le reprendre si des idées et conditions nouvelles étaient réunies car j’ai beaucoup apprécié notre collaboration. Sur un autre film peut-être ou celui-là car je suis toujours obstiné à aller au fond des choses auxquelles je crois même si le temps n’est pas éternel. »
Une réponse de Caroline Fourest
Contrairement à ce qu’indique faussement le titre de votre article, je n’ai jamais caché mes liens avec Alain Terzian... Puisque vous l’avez appris en lisant mon livre ! J’ai renoncé à faire ce film et donc à toucher l’argent pour le réaliser en raison de désaccords artistiques avec ce producteur.
Aucun « script doctor » ne m’a aidé à écrire ce scénario, ni moi ni ma co-auteure. J’ai découvert ces noms dans votre article. S’ils ont été engagés par Alain Terzian pour écrire une nouvelle version, ce n’est qu’après mon départ et sans m’en informer. Cette relation de travail s’étant terminée sur un désaccord lorsque j’ai commencé à rédiger mon livre, je n’avais aucun intérêt à prendre la défense d’Alain Terzian contre les rumeurs qui ont circulé à son sujet. Je l’ai fait uniquement pour éclairer le climat dont parle mon livre, pour défendre un principe. Ce qui semble vous échapper.
La réponse de l’Informé
À aucun moment, dans notre article, nous n’indiquons que Caroline Fourest a caché ses liens avec Alain Terzian. Nous précisons plutôt qu’elle n’en a pas décrit toute l’ampleur. Caroline Fourest mentionne dans son livre l’avoir « croisé » pour un projet de film, mais n’indique ni avoir touché de l’argent pour cela, ni avoir travaillé plusieurs années dans ce but.
Aussi il serait inexact de dire qu’elle a renoncé à toucher de l’argent pour réaliser ce film. Comme les contrats que nous avons consultés le mentionnent, Caroline Fourest a perçu 46 000 € à leur signature en tant qu’autrice et réalisatrice.
En ce qui concerne les scripts doctors engagés, nous n’indiquons pas qu’ils ont aidé Caroline Fourest directement, mais qu’ils ont été engagés par la société d’Alain Terzian pour améliorer son scénario.
Enfin, elle mentionne « les rumeurs qui ont circulé » au sujet d’Alain Terzian. Il ne s’agit pas de « rumeurs » : un article du Monde évoque plusieurs femmes qui ont fait l’objet de remarques et comportements sexistes ou de gestes déplacés de sa part.