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Continuer la lectureCasino : un homme d’affaires obtient le remboursement de ses investissements
Gilles Bentin avait perdu près d’un million d’euros après avoir acquis des titres indexés sur Rallye, la holding de Casino.


L’endettement de Rallye, la maison mère de Casino, est sous le feu des critiques. En juillet, l’Autorité des marchés financiers a requis 27,5 millions d’euros d’amende contre la holding pour diffusion d’informations fausses ou trompeuses, qui auraient « rassuré artificiellement » les investisseurs entre mars 2018 et mai 2019. Gilles Bentin est l’un de ces investisseurs trompés. L’ancien chef d’entreprise, qui a fait fortune dans le secteur de l’électricité grâce à une société qui porte son nom avait investi en 2018 dans des titres indexés sur Rallye et sur l’armateur de porte-conteneurs CMA CGM. Conséquence : il a perdu près d’1 million d’euros en 2019. Le 4 septembre, il a obtenu le remboursement de plus de la moitié de ses pertes. Et c’est son conseiller financier qui devra régler l’addition.
Reprenons au début de l’histoire. Fin 2017, Gilles Bentin se rapproche du cabinet Montrachet Finance et Patrimoine dans le but d’investir une partie des fonds qu’il détient à travers la société Parfin, au capital de 3,2 millions d’euros. Montrachet présente tous les gages de sérieux : fondé en 1993 par Jean-Marie Soubrier, ancien dirigeant de la grande distribution, le cabinet rassemble alors trois conseillers en gestion de patrimoine et revendique sur son site internet travailler pour « environ 450 clients » (contre 350 aujourd’hui), avec des partenaires tels que Rothschild, Axa ou encore Generali. Suite aux préconisations données par le cabinet de Jean-Marie Soubrier, Parfin investit, entre janvier et juin 2018, 3,75 millions d’euros, dont 850 000 euros sur un Credit linked note (CLN) indexé sur Rallye et 500 000 euros indexés sur l’armateur CMA CGM. Très rentables mais également très risqués, les CLN sont des titres de créance émis par une banque qui cherche à se couvrir contre le risque de défaillance d’une entreprise qui a contracté une dette auprès d’elle. Les flux que peut percevoir l’acheteur dépendent donc de l’entreprise endettée et de sa solvabilité : tant qu’elle rembourse sa dette, l’acheteur perçoit des intérêts sous forme de coupons, en plus de son investissement qui lui sera rendu à la fin du contrat ; mais si elle fait faillite, le versement des intérêts s’interrompt et l’investissement initial de l’acheteur ne lui sera pas remboursé - ou du moins pas entièrement.
Problème : le 23 mai 2019, la société Rallye, dont la dette s’élevait alors à 2,9 milliards d’euros, obtient l’ouverture d’une procédure de sauvegarde. Les CLN contractés par Gilles Bentin sont annulés mais il obtient le remboursement de 12,5 % de son investissement initial, soit... 106 250 euros. Les 743 750 euros restants se sont tout bonnement envolés. Quant aux CLN liés à l’entreprise CMA CGM, l’investisseur les revend entre décembre 2019 et janvier 2020 sous les conseils de Montrachet, perdant ce faisant 229 816 euros sur les 500 000 investis au départ. Au total, Gilles Bentin enregistre donc une perte de 973 566 euros. Le 20 avril 2020, il met en demeure son gestionnaire de patrimoine de lui faire une proposition d’indemnisation car il considère qu’il a manqué à ses devoirs d’information et de conseil. Il saisit finalement le tribunal de commerce d’Evry en septembre 2020, à travers sa société Parfin, pour exiger que Montrachet et MMA, son assureur, lui remboursent 90 % des pertes qu’il a encaissées.
Devant le tribunal, Parfin a ainsi reproché à son gérant de fortune « de ne l’avoir jamais tenu informée de façon détaillée et actualisée des situations des sociétés auxquelles elle était exposée ». Elle s’appuie notamment sur des articles de presse qui, en mars 2016, relevaient déjà que la note de Casino, dont dépend la capacité de financement de sa holding Rallye, avait été abaissée de BBB- à BB+ par l’analyste financier Standard & Poor’s. Gilles Bentin considère également que Montrachet lui a conseillé des « placements non adaptés » à sa situation et aux souhaits qu’il avait formulés. MMA et Montrachet font de leur côté valoir que Parfin jouissait d’une trésorerie conséquente, d’un total de 29 millions d’euros, et affirment que le gestionnaire de patrimoine a bien rempli ses obligations réglementaires et informé son client des opportunités et des risques associés aux produits dans lesquels il a investi. Le 29 septembre 2021, le tribunal de commerce leur a donné raison et a débouté Parfin de l’ensemble de ses demandes.
Mais Gilles Bentin a fait appel de la décision. La cour a rappelé, le 4 septembre 2023, qu’il avait indiqué à son gestionnaire de patrimoine qu’il était susceptible de tolérer un degré de risques correspondant au profil équilibré - soit une croissance des investissements sur le long terme avec une prise de risque modérée. Or, Montrachet lui a conseillé d’investir dans des actifs présentant des risques élevés, voire très élevés, de perte en capital. La cour a donc jugé que la société Montrachet « a manqué à son obligation de conseil […] faute d’avoir proposé, au mieux des intérêts de sa cliente, des produits financiers adaptés à ses connaissances des produits financiers, à ses besoins et à ses objectifs ». Elle a également considéré que le conseil n’avait pas informé son client de l’endettement excessif de Rallye, alors que des alertes régulières étaient diffusées dans la presse depuis décembre 2015 - alertes que Montrachet ne pouvait ignorer. Par conséquent la cour d’appel de Paris a évalué dans sa décision la perte de chance subie par Gilles Bentin, empêché d’investir dans des actifs qui lui correspondaient, à 60 % du montant de sa perte en capital sur les CLN Rallye et CMA CGM, soit 584 145,60 euros de dommages et intérêts que Montrachet et MMA sont condamnés à lui payer. Contactés via leurs avocats, ni Gilles Bentin ni le cabinet Montrachet n’ont répondu à nos sollicitations.