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Continuer la lectureVinci Autoroutes attaque l’État français devant la Cour européenne des droits de l’homme
Régulièrement soumis à de nouvelles taxes, le premier concessionnaire autoroutier du pays estime qu’il n’a plus droit à des jugements équitables en France.

« Il faut lancer les orgues de Staline contre l’État qui ne respecte plus ses engagements contractuels ». Pour les dirigeants de Vinci, la nouvelle taxation imposée en 2023 par le gouvernement aux sociétés concessionnaires d’autoroutes (SCA) est la goutte de trop. Il est vrai qu’elles sont accusées de toute part d’enregistrer des « surprofits ». À elle seule, Vinci Autoroutes, qui exploite 4 400 km d’autoroutes via trois filiales principales (Autoroutes du Sud de la France, Cofiroute et Escota), a dégagé un résultat net de 2 milliards d’euros en 2023 et de 1,8 milliard en 2024. Rapporté au chiffre d’affaires, son taux de rentabilité atteint un niveau stratosphérique de l’ordre de 30 % ! Et elle n’est pas la seule SCA dans ce cas. Une manne dont l’État aimerait bien profiter. Oubliés les 15 milliards d’euros qu’elles ont déboursés en 2005 pour acheter les concessions qui portaient aussi 20 milliards de dette publique : Bercy, encouragé par la grogne des automobilistes contre les tarifs aux péages, n’hésite plus à les ponctionner pour engranger des recettes supplémentaires ou financer la modernisation du réseau ferroviaire. Pierre Coppey, le président de Vinci Autoroutes, - il a quitté l’entreprise en janvier 2025 - avait choisi d’engager une stratégie de contestation systématique de chaque nouvelle taxe.
Les recours se sont donc multipliés devant les tribunaux administratifs et même jusqu’au Conseil d’État. Mais l’affaire est encore montée d’un cran l’année dernière, a appris l’Informé. Le 25 janvier 2024, Autoroutes du Sud de la France (ASF), a déposé un recours auprès de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) contre l’État français pour faire valoir son « droit à un procès équitable ». Ce dernier est garanti par l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme. S’il vise principalement à protéger des citoyens privés de leurs droits fondamentaux, il peut aussi bénéficier… à des multinationales délestées d’une partie de leurs profits.
Pour démontrer qu’elle ne peut faire valoir ses droits devant les juridictions administratives françaises, ASF prend appui sur un premier argument, qui devrait être conforté prochainement par d’autres. Selon nos informations, ce premier volet concerne un avis de l’Autorité de régulation des transports (ART) que la société a échoué à faire annuler devant le Conseil d’État. Le 15 novembre 2022, le gendarme des transports remarquait, furibard, que le gouvernement avait publié quelques semaines plus tôt un décret en Conseil d’État modifiant le cahier des charges d’ASF, pour lequel il n’avait pas été consulté au préalable. Cela aurait été nécessaire si la modification concernait les tarifs ou un allongement de la durée de concession Mais elle n’avait trait qu’aux travaux d’élargissement d’une bretelle autoroutière, sans incidence directe sur les prix pratiqués aux péages. Pour autant, l’ART estimait alors : « Le vice de procédure lié au défaut de consultation préalable de l’Autorité est de nature à entacher d’illégalité le décret ».
À la lecture de cet avis, le sang de Pierre Coppey n’a fait qu’un tour et ASF avait réclamé son annulation et la suppression de sa mention sur le site Internet et les réseaux sociaux de l’Autorité. Le 27 septembre 2023, le Conseil d’État avait rejeté cette demande. Sa rapporteure publique avait toutefois reconnu, dans des conclusions énoncées le 8 septembre 2023 : « En l’espèce, l’avenant n’a pas d’incidence sur les tarifs. En exprimant un avis sur la légalité de certaines stipulations de cet avenant, il nous semble donc que l’ART a excédé [son] pouvoir d’appréciation ». Elle avait également souligné : « Une annulation de l’avis litigieux aurait des effets bien plus notables sur les rapports entre le régulateur et les acteurs du secteur (État et autoroutiers) que l’avis lui-même n’est susceptible d’en avoir ». En d’autres termes, le Conseil d’État confirmait que l’ART n’avait pas le droit de statuer sur le décret (pour lequel le Conseil d’État avait été entendu via sa section des travaux publics), mais il se devait de rejeter la requête d’ASF car elle risquait de déstabiliser le secteur !
L’existence du recours déposé par ASF auprès de la CEDH, dont les décisions s’imposent aux États membres du Conseil de l’Europe, a été révélée par David Préat, l’avocat de la société, lors d’une plaidoirie devant le tribunal administratif de Paris, le 20 mai dernier, à laquelle assistait l’Informé. Dans cet autre dossier, la société d’autoroutes réclame un euro symbolique à l’État, en réparation de sa « déloyauté » dans l’exécution du contrat de concession. Dans les deux cas, elle conteste l’usage immodéré du gouvernement des avis consultatifs qu’il sollicite du Conseil d’État, afin d’avoir à sa disposition des moyens légaux de contourner les obligations contenues dans les contrats qu’il a passés avec les sociétés d’autoroutes.
C’était en effet le cas quand, en 2019, le ministère du budget avait voulu indexer la Taxe d’aménagement du territoire (TAT) sur l’inflation. Le 6 février 2020, le Conseil d’État avait adopté un avis transmis à Bercy, mais l’administration avait refusé de le communiquer aux sociétés concessionnaires. Selon le texte révélé par le site Contexte, les dix questions posées par l’État avaient trait aux moyens dont il disposait pour soit réduire la durée des concessions, soit prélever de nouvelles charges sur l’exploitation des autoroutes.
De même, en 2023, Bercy avait voulu taxer le chiffre d’affaires des sociétés autoroutières. Il avait questionné le Conseil d’État pour obtenir un moyen de contourner l’article 32 des cahiers des charges des SCA, qui leur garantit une compensation en cas de nouvelle taxe les ciblant spécifiquement. Devant la difficulté de l’exercice, il avait réitéré trois fois sa demande, avec des « saisines rectificatives, adressées pour l’une le 30 mai et pour les deux autres le 6 juin 2023 », selon le texte dont la communication a, cette fois, été autorisée par le ministère de l’économie. Résultat : les sages du Palais Royal ont recommandé d’étendre, au-delà des seules autoroutes, la nouvelle taxe à toutes les infrastructures de transports longue distance. Sans avoir été prévenus, les plus grands aéroports, comme Paris, Lyon ou Nice, se sont alors retrouvés en 2024 dans le champ d’application de cette nouvelle TEILD.
La Cour européenne des droits de l’homme se prononce, en général, sur le fonds d’une affaire dans un délai de quatre à cinq ans. Interrogé, Vinci ne pas souhaite pas « commenter les affaires judiciaires en cours et passées ».
