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Continuer la lectureStarlink d’Elon Musk inquiète les autorités françaises
La justice française ne peut intercepter les communications qui transitent via le réseau de satellites du milliardaire contrairement aux autres opérateurs. Un problème dans le cadre des enquêtes de police.

Elon Musk fait encore des siennes. L’opérateur satellite Starlink, lancé en France il y a plus de deux ans, n’est toujours pas dans les clous. Il ne respecte pas ses obligations légales dans l’Hexagone a appris l’Informé. Au point que le commissariat aux communications électroniques de défense (CCED), un service rattaché à Bercy, étudie le dossier.
De quoi parle-t-on ? En France, les fournisseurs d’accès à Internet comme SFR ou Orange doivent permettre les interceptions judiciaires et de sécurité. Il s’agit notamment de fournir l’accès aux correspondances d’individus suspects (mails, fichiers envoyés…) et à leurs données de connexion (qui a communiqué avec qui) aux forces de l’ordre sur demande d’un juge. Ces éléments sont transmis dans le cadre de réquisitions judiciaires pour faire avancer les enquêtes (trafic de drogue, escroqueries…). Grâce à une convention signée avec l’État, les opérateurs se font rembourser les surcoûts liés à ces opérations.
Mais depuis une loi de 2021, ces obligations ont été étendues aux opérateurs de communications électroniques qui ne proposent pas les appels téléphoniques traditionnels. Ce qui inclut de facto Starlink. Afin de permettre les interceptions légales, tous doivent s’assurer au préalable que les équipements utilisés disposent des autorisations ministérielles (R226). C’est à l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information (Anssi) de vérifier ce point. Problème : le géant américain n’a jamais demandé une telle autorisation. Contactée, l’Anssi confirme n’avoir jamais été saisie.
Cette désinvolture de la société d’Elon Musk inquiète de nombreux acteurs de la sécurité intérieure. « Les constellations de satellites représentent une opportunité de plus pour les criminels qui se saisissent rapidement des nouveaux outils technologiques mis à leur disposition pour communiquer, indique un connaisseur du sujet. Mais si Elon Musk agit avec Starlink comme il le fait avec X (anciennement Twitter), cela va rapidement poser un problème. » Depuis le rachat du réseau social par le milliardaire américain, plus personne ne répond aux demandes de la justice en France, contrainte de se tourner vers l’Irlande, siège européen du groupe. De quoi laisser présager le pire avec Starlink.
Que va-t-il se passer maintenant ? Il revient logiquement au gendarme des télécoms, l’Arcep, de contraindre l’opérateur à se soumettre à ses obligations. Après une mise en demeure, il dispose d’un pouvoir de sanction qui peut aller d’une suspension temporaire ou totale du service, jusqu’à une amende pouvant atteindre 3 % du chiffre d’affaires. Interrogé, le régulateur a refusé d’indiquer s’il avait mis en demeure la société, expliquant « ne jamais s’exprimer sur les éventuelles procédures en cours ». Contacté à plusieurs reprises, SpaceX, maison mère de Starlink, n’a pas répondu à nos sollicitations.
Sans aller jusqu’à infliger une amende, il est possible d’utiliser une autre solution, comme le note un expert : « En pratique, les pouvoirs publics peuvent faire démonter les réseaux, ce qui est une vraie punition pour l’opérateur, car cela lui coûte une fortune ». En effet, Starlink est présent dans l’Hexagone au travers de deux stations terrestres (des téléports) déployées depuis l’an dernier : la première est située à Villenave-d’Ornon (Gironde) et l’autre à Carros (Alpes-Maritimes).
Le sujet devient plus important à mesure que l’opérateur croît très rapidement. En fin d’année dernière, la société avait annoncé compter plus de 10 000 clients dans l’Hexagone. Depuis, elle a cassé les prix. De 99 euros par mois à son lancement en France en 2021, son tarif est tombé à 50 euros en 2022 et à 40 euros depuis juillet (hors coût de la parabole à 450 euros). Plusieurs revendeurs, comme la Fnac, proposent cette solution à des particuliers mais aussi à des entreprises. C’est le cas d’IEC Telecom qui vend les offres d’Elon Musk à des organisations non gouvernementales (pour équiper des camps de réfugiés, des villes touchées par des catastrophes naturelles, guerres…), des propriétaires de yachts, des porte-conteneurs ou des bateaux de croisière. « Depuis le début de l’année, cette offre est un best-seller, explique Soumaya Laqbaqbi, directrice marketing d’IEC Telecom. En cassant les prix tout en proposant des débits supérieurs à ses concurrents, Starlink bouscule tout le secteur ».
En attendant que la société entre dans les clous, les services de renseignement, eux, peuvent déjà intercepter les communications satellitaires, sans passer par un juge, grâce « un dispositif de captation de proximité, sans faire appel au concours préalable des opérateurs », indique la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR) dans son dernier rapport annuel. Ce dispositif expérimental est autorisé jusqu’au 31 juillet 2025 et concerne des cas précis : l’intégrité du territoire et la défense nationale, la prévention de toute forme d’ingérence étrangère, la prévention du terrorisme, de la criminalité et de la délinquance organisée. Mais ce dispositif est encore en phase de test et n’a pas été utilisé à ce jour.