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Continuer la lectureComment Pornhub veut faire tomber le contrôle d’âge de l’Arcom
Aylo, propriétaire des géants YouPorn, Pornhub et Redtube, estime que l’Autorité de régulation et l’État français ne respectent pas le droit européen.

La saga du contrôle d’âge est encore loin de sa dernière saison. Aylo, propriétaire des plus populaires sites pornographiques au monde, demande au Conseil d’État l’annulation du référentiel technique rédigé par l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) en octobre 2024. Ce référentiel a été publié au Journal officiel à destination des éditeurs de sites pour adultes. Il tente d’imaginer une solution de vérification d’âge pour éviter que les mineurs accèdent à ces contenus réservés aux majeurs, tout en protégeant la vie privée des internautes. Durant une période transitoire de trois mois à compter de janvier 2025, l’Arcom se satisfait d’un contrôle de majorité par carte bancaire, mais à partir d’avril, les plateformes pourront être mises en demeure d’opter pour une solution plus robuste de double anonymat, faisant appel à un tiers de confiance. Pour Aylo cependant, le dispositif, adopté à l’occasion de la loi visant à sécuriser et réguler le numérique de mai 2024, est contraire au droit européen. L’Informé a pris connaissance des principaux arguments déployés par l’éditeur de Pornhub dans son recours introduit en novembre 2024.

Dans plusieurs mémoires, la société, qui a son siège européen à Nicosie (Chypre), rappelle qu’en vertu de la directive de 2000 sur le commerce électronique, seul l’État membre (« A ») où est établie une plateforme peut se charger de sa régulation. Ce principe, dit du pays d’origine, a été pensé pour garantir la liberté du commerce en Europe. Il connaît une exception selon laquelle cet État va pouvoir aussi réguler un site installé dans un autre pays européen (« B ») s’il poursuit un objectif d’intérêt général, notamment de protection des mineurs. Formellement, ces mesures étendues doivent toutefois être précédées d’une demande d’agir adressée au pays d’établissement (« B »), restée vaine, et une notification à la Commission européenne. Sur le fond, les obligations voulues par l’État « A » doivent enfin être nécessaires et proportionnées. En ce sens, la Cour de justice de l’Union européenne a plusieurs fois précisé que cette exigence interdisait les mesures « générales et abstraites » (ou impersonnelles) puisque la proportionnalité appelle un traitement au cas par cas. La Commission européenne a, quant à elle, eu l’occasion d’émettre plusieurs critiques à l’encontre d’initiatives législatives françaises, allemandes ou encore italiennes sur le sujet de la vérification d’âge.
Aylo considère que la loi SREN, qui prévoit le référentiel technique de l’Arcom, ne respecte pas cette règle. L’un des articles oblige désormais le gouvernement français à prendre d’abord un arrêté pour identifier nommément les sites établis dans un autre État membre de l’UE qui devront respecter les règles de contrôle d’âge françaises. Cette liste, d’abord dévoilée par l’Informé, a été publiée le 6 mars dernier au Journal officiel. Problème, l’individualisation s’arrête là, sans adaptation des obligations à chaque plateforme étrangère. Par ailleurs, le requérant estime qu’il existe des solutions beaucoup plus efficaces et proportionnelles que le contrôle de l’âge de l’ensemble des utilisateurs, en particulier celle qui consiste à obliger les fabricants de terminaux (ordinateurs, smartphones, tablettes, etc.) à installer un contrôle parental. Une solution moins restrictive déjà votée par le législateur français depuis 2022 et entrée en application l’an passé.

Les critiques ne s’arrêtent pas là. Le référentiel technique ne respecterait pas non plus le règlement européen sur les services numériques (en anglais Digital Services Act ou DSA), dont relèvent PornHub, Youporn et Redtube, en tant que plateformes en ligne qui stockent et diffusent des contenus depuis l’Europe. La loi SREN impose en effet une solution de contrôle d’âge que ne prévoit pas le DSA, alors que ce règlement d’harmonisation maximale ne laisse aucune marge de manœuvre aux États membres. Le texte européen se limite à réclamer la mise en place de mesures de protection des mineurs, mais sans les détailler. La vérification d’âge est bien mentionnée mais seulement s’agissant des mesures que peuvent mettre en œuvre les très grandes plateformes (celles qui totalisent plus de 45 millions d’utilisateurs actifs par mois dans l’UE). Ce n’est donc qu’à titre d’exemple, pas sous forme d’obligation, et dans tous les cas sous le contrôle de la Commission européenne, non de l’Arcom. Enfin, en cas de doute sur l’interprétation du droit communautaire, Aylo invite le Conseil d’Etat à questionner la Cour de justice de l’Union européenne. La juridiction rendra son arrêt dans les prochains mois.
L’arrêté des ministères de la culture et du numérique également dans le viseur
Aylo a déjà fait part à l’AFP de son intention d’attaquer la liste noire désignant 17 sites pornos, dont les trois de son catalogue, devant les juridictions administratives. D’autres grands noms du secteur sont sur le front de la contestation. Depuis la République tchèque, NKL Associates (XNXX) et WebGroup Czech Republic (XVideos) ont eux aussi décidé d’attaquer le référentiel.