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Continuer la lectureAltice : la vente de Teads entame sa dernière ligne droite
La régie publicitaire en ligne, propriété de Patrick Drahi, intéresse de grands fonds américains. Le deuxième tour des enchères est engagé.

Altice va-t-il réussir à rassurer les investisseurs en revendant à bon prix l’un de ses premiers gros actifs ? En tout état de cause, le groupe de Patrick Drahi y travaille. La vente de sa filiale de publicité en ligne Teads, révélée par MergerMarket en septembre, touche à son épilogue. Selon nos informations, les candidats ont déposé des lettres d’intention fin décembre. Morgan Stanley a sélectionné parmi eux les candidats du deuxième et dernier tour des enchères en faisant la part belle aux fonds d’investissement américains. Plusieurs sources évoquent la présence d’Apollo Global Management. Une vieille connaissance de Patrick Drahi : Jean-Luc Allavena, qui travaille pour ce fonds new-yorkais, a été administrateur d’Altice de 2014 à 2018.
Apollo, géant de la finance à la tête de plus de 570 milliards d’euros d’actifs, s’est déjà taillé une solide réputation dans l’Hexagone. Il y a deux ans, il avait racheté les terminaux de paiement de Worldline pour 2,3 milliards d’euros. En fin d’année dernière, il a aussi investi pas moins de 1,5 milliard dans l’entité regroupant le programme de fidélité d’Air France-KLM. À l’international, le gérant a fait la une des journaux économiques en s’offrant il y a bientôt trois ans l’ex-division média de Verizon, détentrice de Yahoo et AOL. « Apollo n’est cependant pas connu pour surpayer les actifs, et sa présence dans l’enchère témoigne d’une valorisation qui ne devrait pas atteindre la barre des 3 milliards d’euros [un chiffre évoqué par MergerMarket] », estime un banquier, tablant plutôt sur une opération à moins de 2 milliards.
« Apollo n’est pas seul dans la course. Vista Equity Partners fait aussi partie des candidats », croit savoir un professionnel du M&A. Ce puissant fonds américain est notamment connu pour avoir racheté l’adtech new-yorkaise Triplift, il y a deux ans, et avoir investi fin 2023 dans VideoAmp, un expert dans la collecte et le traitement des données provenant des téléviseurs connectés. Une autre source proche du dossier évoque enfin la présence de deux industriels internationaux, à ce jour non identifiés, dans ce processus concurrentiel. En septembre, SkyNews avait évoqué des discussions avec le rival israélien Nexxen (ex-Tremor).
Reste à savoir si le montant du chèque convaincra Patrick Drahi, qui avait racheté Teads en 2017 pour seulement 302 millions d’euros. En effet, le propriétaire d’Altice a déjà plusieurs fois mis en vente la régie publicitaire spécialisée dans la vidéo, mais a toujours fini par reculer, jugeant trop faibles les offres de rachat. En 2019, il avait confié un mandat de vente à Citi, puis mis la start-up sur le marché deux fois de suite. En 2021, il a tenté de l’introduire au Nasdaq, réclamant une valorisation d’au moins 3,5 milliards de dollars, mais a finalement renoncé. « Teads était inconnu aux États-Unis, et les dirigeants n’ont pas convaincu lors du road show », explique un observateur. Enfin, en 2022, il a tenté - en vain - une fusion avec une autre régie publicitaire numérique, Outbrain, selon les Échos.
Pour ne rien arranger aujourd’hui, Teads est remis en vente à un moment où ses résultats reculent, après plusieurs années de forte croissance. Sur les neuf premiers mois de 2023, l’excédent brut d’exploitation (Ebitda) ajusté a baissé de 10 % (à 82 millions d’euros) sur un chiffre d’affaires en retrait de 7 % (à 379 millions). Des performances très loin des 275 millions d’euros d’Ebitda prévisionnels évoqués par MergerMarket.
Un recul officiellement dû à « la pression macroéconomique ». Mais la start-up a aussi vu partir depuis 2021 une bonne partie de son état-major : le directeur technique, le directeur de la stratégie, le directeur des achats, le directeur des produits, ainsi que les patrons de trois régions (Allemagne, Amérique du Nord et Amérique latine). Et surtout le cofondateur Pierre Chappaz, qui était président exécutif.
Équation complexe pour la France
Teads fait partie d’Altice International, la branche de l’empire Drahi qui comprend aussi ses opérateurs en Israël, en République dominicaine et au Portugal. Ce dernier, Meo, a aussi été mis en vente, et le processus semble bien avancer : selon Bloomberg, Xavier Niel (actionnaire à titre individuel de l’Informé), l’opérateur saoudien Saudi Telecom, le banquier António Horta-Osório, les fonds Warburg Pincus et Zeno Partners seraient intéressés par l’ex-Portugal Telecom, qui serait valorisé entre 7 et 9,5 milliards d’euros.
Le produit de ces cessions permettra de réduire l’endettement d’Altice International, qui s’élève à 8,6 milliards d’euros fin septembre, l’équivalent de 4,6 années d’Ebitda. Hélas, il ne pourra pas diminuer la dette des autres branches de l’empire, car les créances ne sont pas fongibles entre elles.
C’est pour le « silo » français (qui comprend SFR et BFM TV) que la situation semble la plus complexe. En effet, la dette s’élève à 24 milliards d’euros, soit 6 fois l’Ebitda. Sur cette somme, 1,7 milliard doit être remboursé dans les deux ans. Historiquement, Patrick Drahi a toujours honoré ses créances en empruntant à nouveau, repoussant ainsi ses échéances plus loin dans le temps. Mais cela devient de plus en plus difficile, en raison de la hausse des taux, et du désamour des marchés pour son groupe depuis le scandale Pereira. Signe de cette défiance : la dette d’Altice France a perdu près de la moitié de sa valeur, c’est-à-dire qu’elle s’échange à 55 % de son prix d’émission.
L’homme d’affaires a bien essayé de relever de la dette pour Altice France, mais avec des résultats mitigés. Avant Noël, il a annoncé avoir levé un montant assez modeste (350 millions d’euros). Les prêteurs ont obtenu d’être remboursés en priorité en cas de défaut (senior secured). Surtout, l’opération s’est conclue sur un taux d’intérêt élevé : 11,5 %, et même 12,5 % en tenant compte du prix d’émission. Soit le double du taux moyen des créances actuelles d’Altice France (5,7 %). À titre de comparaison, Altice International a réussi à lever en octobre deux fois plus (800 millions d’euros) dans des conditions plus avantageuses (Euribor + 5 %, soit environ 9 %).
Face à ces difficultés, le magnat des télécoms a donc étudié différents plans B pour ses activités françaises. Une première solution envisagée a été un rapprochement avec Free ou Bouygues Telecom, sans aboutir, selon la Tribune. Ses concurrents n’avaient aucune envie de reprendre les 24 milliards d’endettement. D’autant que, selon nos informations, cette dette est immédiatement exigible en cas de changement de contrôle. Autrement dit, il aurait fallu la payer tout de suite…
Autre piste : la vente d’une minorité du capital de SFR. Mais un tel projet se heurte vite à une question de valorisation. En effet, l’opérateur français dégage 4 milliards d’euros d’Ebitda. En appliquant un multiple de 6 en vigueur dans le secteur, il vaut donc environ 24 milliards d’euros… soit le montant de sa dette. Autrement dit, la valeur des actions de SFR est proche de zéro. Dès lors, vendre une partie du capital ne rapporterait pas grand-chose…
Le milliardaire explore donc sa dernière option : la vente d’actifs périphériques. Selon les Échos, il voudrait ainsi récolter 3 milliards d’euros, ce qui permettrait de faire baisser la dette d’autant, et donc d’ouvrir le capital dans de meilleures conditions. D’ores et déjà, il a vendu 70 % de ses centres d’hébergement, ce qui fera rentrer dans les caisses près d‘un demi-milliard. Reste donc à trouver 2,5 milliards d’euros. En septembre, le conseiller d’Altice France Dennis Okhuijsen a évoqué lors d’une conférence avec des investisseurs une vente des activités médias et du réseau en fibres. Mais toute vente de BFM TV a ensuite été démentie.