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Continuer la lectureRachat de Lagardère : Vivendi gagne une bataille devant la Cour de justice européenne
La Commission européenne veut forcer les deux fiancés à fournir tous les mails, SMS et messages instantanés échangés entre leurs dirigeants. La Cour a pointé de graves risques d’atteinte à la vie privée.

Vivendi obtient un répit. Le groupe de médias vient de remporter une bataille devant la Cour de justice de l’union européenne (CJUE) concernant le rachat du groupe Lagardère, a appris l’Informé. Cette acquisition, annoncée en octobre 2022, posait des questions de concurrence dans les domaines de l’édition (avec Editis d’un côté et Hachette de l’autre) et de la presse magazine (avec Gala et Voici d’un côté et Paris Match de l’autre). Les deux groupes avaient donc interdiction de communiquer entre eux, jusqu’à ce que Bruxelles instruise ce dossier et donne son feu vert sous condition le 9 juin 2023. Mais la Commission européenne soupçonne le groupe contrôlé par Vincent Bolloré de ne pas avoir attendu cette date pour se mêler des affaires de Lagardère, par exemple en créant des synergies entre sa chaîne CNews et la radio Europe 1. En raison de ces soupçons de prise de contrôle anticipée (appelé gun jumping), la direction de la concurrence européenne a ouvert le 25 juillet dernier une enquête, menaçant Vivendi et Lagardère d’une amende de 10 % du chiffre d’affaires.
Dans le cadre de cette enquête, une perquisition a été réalisée en décembre 2022 selon la Lettre. Mais l’anti trust a aussi adressé en septembre 2023 à Vivendi et Lagardère une demande de renseignements. Concrètement, les deux groupes de médias devaient collecter tous les documents et toutes les communications (mails, SMS, messages instantanés) de certains salariés et mandataires sociaux, mais aussi les échanges sur les téléphones mobiles et les messageries électroniques personnels s’ils avaient « été utilisés au moins une fois pour des communications professionnelles » . Ce recueil couvre une période de plusieurs années. Tout document comportant une série de mots-clés, notamment le nom de plusieurs personnalités publiques du monde politique ou du secteur des médias, devait être transmis… On peut supposer que la requête concernait les échanges des plus hauts dirigeants des deux groupes, Vincent Bolloré et Arnaud Lagardère inclus.
Vivendi et Lagardère ont donc contesté cette demande devant le tribunal européen de première instance de Luxembourg, notamment en référé. Ce dernier a rejeté leur action en janvier. Mais les fiancés n’ont pas baissé les armes : ils ont fait appel, avec succès. La Cour de justice européenne vient de reconnaître « que l’atteinte au droit à la vie privée » est réelle et présente « un caractère grave et irréparable » en s’appuyant notamment sur le règlement général sur la protection des données (RGPD). Et même les garanties procédurales mises en avant « ne sont pas suffisantes ». Pour la cour, « il apparaît très probable qu’un grand nombre de documents devant ainsi être transmis à la Commission pourraient fournir des informations sur la vie privée des personnes concernées, [car] les obligations imposées visent notamment à collecter des échanges opérés au moyen d’outils de communication utilisés usuellement à titre purement privé. »
Explication : « le juge a donné raison sur ce point à Vivendi en considérant que la condition relative à l’urgence était remplie, explique Maître Alexis Fitzjean O Cobhthaigh, spécialiste des questions sur les données personnelles. Le dossier va revenir devant le premier juge et il va falloir déterminer si la demande de renseignements de la Commission est manifestement illégale ou non, et effectuer une mise en balance des intérêts en présence : protection de la vie privée et enquête de Bruxelles. »
Contacté, Vivendi n’a pas souhaité faire de commentaire.
Mise à jour : par une ordonnance du 13 juin 2024, le tribunal de première instance a donné en partie raison à Vivendi et Lagardère. Il a ordonné le sursis à exécution de la décision de la Commission de septembre 2023 demandant la fourniture de documents. Il a demandé à Vivendi et Lagardère de conserver les documents non encore communiqués à la Commission et contenant des données relevant de la vie privée. Il a demandé à la Commission de conserver sous scellés les documents fournis par Vivendi et et Lagardère contenant des données relevant de la vie privée. Mais le tribunal a rejeté la demande de Vivendi de confier les documents à un tiers de confiance indépendant. Vivendi a fait appel de cette ordonnance du 13 juin 2024 devant la Cour de justice européenne, qui l’a débouté le 16 août.