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Continuer la lecturePrisma Media : les jolis bonus de Claire Léost malgré des résultats contestés
La présidente du premier groupe de magazines en France a été récompensée pour la vente de Gala et pour l’entrée en Bourse de Louis Hachette Group. De quoi crisper des effectifs déjà sous tension.

La nouvelle risque de faire grincer des dents chez Prisma Media. Selon nos informations, la présidente du premier groupe de magazines en France (Capital, Voici, Geo, Femme Actuelle…) a obtenu deux jolis bonus pour ses performances. Claire Léost a d’abord reçu une prime de 100 000 euros l’an dernier pour la cession de l’hebdomadaire Gala au groupe le Figaro. Et la dirigeante touchera 500 000 euros de plus pour avoir accompagné la scission de Vivendi en quatre entités. En décembre, le géant du CAC a en effet donné naissance à trois structures indépendantes : Havas, Canal+ et une dernière plus hétéroclite, baptisée Louis Hachette Group, regroupant Prisma et une participation de 66 % dans le groupe Lagardère avec ses activités de presse (le JDD, Europe 1…), d’édition (Hachette), et de distribution dans les aéroports et les gares (Travel Retail). Au-delà de ces primes, la patronne pourra compter sur ses émoluments habituels, soit un salaire fixe de 360 000 euros bruts et un bonus de 344 520 euros (au titre de l’an dernier). En tant que membre du directoire de Vivendi, elle engrangera également une rémunération de 140 000 euros, plus un bonus de 120 994 euros (ce sera toutefois la dernière fois compte tenu de la scission). Au total, les sommes attribuées à Claire Léost au titre de 2024 s’élèvent à 1,46 million d’euros, en hausse de 31 % en un an.

Ces récompenses en surprendront quelques-uns vu la situation de Prisma. Certes, la vente de Gala a rapporté 48,6 millions d’euros. Mais le magazine people était « un des plus rentables de la presse française », selon Claire Léost elle-même, avec une marge directe de 8,5 % sur un chiffre d’affaires de 26 millions d’euros en 2023. Cette cession a donc plombé les comptes de l’éditeur. Le chiffre d’affaires a chuté de 5,4 % l’an dernier et le résultat opérationnel ajusté s’est effondré de plus de moitié (cf. graphe ci-dessous), sans que cela soit (pour l’instant) compensé par les acquisitions des magazines Ideat et The Good Life. Les nouveautés de cette année dans la presse jeunesse (Mini-Loup) ou le luxe (Harper’s Bazaar Homme prévu cet automne…), pourvoyeurs d’annonceurs aux poches profondes, doivent apporter des relais de croissance.
Ironie de l’histoire, cette séparation douloureuse avec Gala s’est avérée inutile. L’opération avait été décidée lors du rachat de Lagardère par Vivendi, quand Bruxelles avait imposé de réduire le poids du nouvel ensemble sur le marché de la presse people. Pour résoudre ce problème, il y avait une autre solution : vendre Paris Match. Or, cet hebdo a finalement été cédé l’an dernier, à LVMH. Louis Hachette Group se retrouve donc amputé de deux magazines phares, alors qu’un seul sacrifice aurait suffi… Contacté, le porte-parole de Prisma souligne que la prime est justifiée par les délais « particulièrement contraints » de la vente de Gala. La direction ajoute que cette cession a permis de verser une participation plus élevée à tous les salariés au titre de l’exercice 2023.

Le bonus de la présidente lié à la scission du groupe Vivendi peut, lui aussi, étonner, compte tenu des premiers pas décevants de Louis Hachette Group en Bourse. En théorie, cette entité valait 2,1 milliards d’euros, si l’on additionne le prix du rachat de Prisma (208 millions d’euros) et des 66 % de Lagardère (1,9 milliard d’euros). Cette évaluation figurait même dans les comptes de Vivendi, et avait été citée par Yannick Bolloré dans une interview, où il promettait : « cette opération va permettre de révéler le vrai potentiel de chacun des actifs. […] À la cotation, on peut estimer, raisonnablement, qu’il y aura une faible décote sur Louis Hachette Group. » Mais rien ne s’est passé comme prévu. L’entreprise a été introduite en Bourse sur une valeur de seulement 1,1 milliard d’euros, avant d’atteindre 1,2 milliard aujourd’hui. « La résolution (sur la rémunération de Claire Léost) doit encore être approuvée lors de l’assemblée générale de Vivendi du 28 avril », indique-t-on chez Prisma. En attendant, cette prime passe mal car les salariés du groupe s’apprêtent, eux, à ne toucher aucune participation au titre de l’exercice 2024. « Cela nous a été annoncé par la direction », s’époumone un élu.
Sous pression financière, la direction de Prisma coupe dans ses effectifs. Une rupture conventionnelle collective sur une base volontaire a d’abord été organisée (27 salariés en ont profité) et un plan de départs contraints est aujourd’hui en cours de négociation. Cela s’ajoute à la clause de cession ouverte lors du rachat par Vivendi, qui a conduit à 160 départs. Avant même cette nouvelle saignée, les effectifs ont déjà fondu de 15 % l’an dernier, passant de 1 206 à 1 027.
Un projet de « web TV » affole la rédaction de Capital
Nouvelle crise en vue au magazine Capital. Après une réduction des effectifs l’an dernier, un projet de la direction échauffe un peu plus la rédaction : le lancement d’une télévision sur le site internet du titre. Deux prestataires ont d’ores et déjà été retenus, via un appel d’offres, pour la produire en externe. Il s’agirait, selon certaines sources, de Marshmallow Production, une société immatriculée en Grande-Bretagne qui travaille pour l’émission Parlons Business sur CNews, et de OpenMedias, une filiale du groupe SCP qui œuvre pour BFM Business. Cette dernière a un temps été conseillée par Pierre Fraidenraich, ancien dirigeant de BFM Business et cofondateur de BSmart. Mais celui-ci aurait depuis cessé cette mission pour se concentrer sur la chaîne de Michel Cymes « Mieux », diffusée sur les box après avoir postulé en vain à une fréquence de la TNT.
Si les contours de la future web tv de Capital restent encore flous, elle devrait, a minima, proposer chaque année une trentaine d’interviews de décideurs économiques, d’une durée de 6 à 7 minutes chacune, présentées par un ou deux animateurs venus d’une chaîne d’information, et mises en avant sur une section du site. Or, ici, les invités paieront pour être interrogés. Cette pratique, qui devrait rapporter plusieurs centaines de milliers d’euros en année pleine, inquiète grandement les équipes du magazine, même si elle n’est pas totalement nouvelle, et que les vidéos seront identifiées comme sponsorisées. Interrogé, un porte-parole de Prisma n’a pas voulu confirmer le nom des deux prestataires retenus, mais juge « normal » que Capital lance sa web TV comme l’ont déjà fait de nombreux concurrents tel le Figaro ou Challenges. Mais dans une lettre de doléances adressée à la direction, la Société des journalistes du mensuel économique s’interroge : « Comment garantir l’indépendance de la rédaction quant aux personnalités interviewées et aux angles choisis ? ».
Ce nouveau sujet de discorde survient alors que la rédaction estime avoir déjà été bien malmenée. Comme le rappelle le courrier, le titre a déjà perdu son directeur, Emmanuel Kessler, débarqué au bout de 15 mois, pour être remplacé par Élodie Mandel, venue de la presse féminine et people, et sans expérience en matière de journalisme économique. Le rédacteur en chef, Emmanuel Botta, est quant à lui parti il y a peu, deux ans après son arrivée, et Caroline Castets en provenance de Décideurs magazine a pris sa succession. « Il ne fait pas bon s’appeler Emmanuel, ironise un salarié. L’ambiance n’est pas au beau fixe et beaucoup cherchent à partir. » Plus largement, ces mouvements « suscitent des questions quant au projet de la direction pour Capital, (...) dont les effectifs ont fondu d’au moins 12 postes », écrit la SDJ.
La rédaction s’inquiète aussi de l’organisation « de conférences sponsorisées avec le risque de mélange des genres que cela engendre ». Et d’ajouter : « ces interrogations préoccupent au plus haut point les équipes, (...) alors que Capital a besoin de retrouver de la confiance et de la sérénité », précise la missive. Depuis, Élodie Mandel a organisé une réunion en apportant quelques garanties, mais tout n’est pas réglé pour autant. « Elle n’a pas répondu à toutes les questions, indique un journaliste. La SDJ étudie de nouvelles doléances à lui transmettre. »