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Continuer la lecture« On va s’aimer » : le plagiat qui coûte cher à Gilbert Montagné et Didier Barbelivien
Condamnés en Italie pour avoir copié la chanson « Une fille de France », le chanteur et le parolier ne perçoivent plus aucun droit d’auteur sur leur tube.

Le plagiat, Gilbert Montagné sait ce que c’est. Il en a lui-même été victime : en 2009, le chanteur gagnait définitivement sa bataille contre Flunch, qui avait transformé son tube « On va s’aimer » en « On va Fluncher » dans une publicité des années 90. Résultat : 30 000 euros de dommages et intérêts au total pour l’artiste et son parolier, Didier Barbelivien. Sauf qu’à l’époque, le titre avait déjà été reconnu en Italie… comme étant lui-même le plagiat d’une autre chanson : « Une fille de France », interprétée par Gianni Nazzaro. Sur le sujet, Gilbert Montagné et Didier Barbelivien ont définitivement été condamnés pour contrefaçon en 2012, mais ils refusaient que les droits d’auteur soient versés à Michel Cywie et Jean-Max Rivière, respectivement compositeur et parolier de l’œuvre originale. Une récente décision de la cour d’appel de Paris vient changer la donne : les confortables droits d’auteur générés par « On va s’aimer » devront désormais revenir aux auteurs d’« Une fille de France ».
L’affaire dure depuis plus de 40 ans. En 1983, Gilbert Montagné sort son fameux titre et le succès est colossal : le single est certifié disque d’or et sera vendu à plus de 700 000 exemplaires l’année suivante. « Un jour, j’étais à mon piano et l’inspiration est venue, sans que je puisse expliquer pourquoi, racontait l’interprète des « Sunlight des Tropiques » au Parisien en 2015. Cette mélodie est arrivée sous mes mains. […] À l’époque, un producteur italien voulait me prendre sous son aile. Je lui ai fait parvenir la musique. Il a demandé à Didier Barbelivien d’en signer les paroles. » Ce dernier est lui aussi revenu sur cette genèse dans les colonnes de Télé Loisir : « Les paroles sont venues très vite. Mais c’est ma méthode : il faut que ça vienne tout de suite, sinon je n’écris pas. […] Les paroles sont portées par la musique. Et Gilbert et moi nous nous sommes très bien compris. »
Problème : le refrain ressemble étrangement à une musique sortie sept ans plus tôt, « Une fille de France », éditée par la société Première Music Group. Interprété par Gianni Nazzaro, le titre a été composé par Michel Cywie, qui a travaillé pour Dave, Gérard Lenorman ou encore Michel Delpech. Ses paroles ont été écrites par deux auteurs : Jean-Max Rivière et… Didier Barbelivien.
En 2002, la société italienne Abramo Allione Edizioni Musicali, qui édite « On va s’aimer » avec Universal Music Italia, tente d’anticiper les accusations de contrefaçon. Elle assigne Michel Cywie, Jean-Max Rivière et Première Music Group devant le tribunal de Milan pour que l’œuvre soit déclarée comme une création originale sans lien avec « Une fille de France ». Une procédure préventive étonnante dite d’assignation en déclaration de non-contrefaçon qui va finalement se retourner contre ses initiateurs. Mais Cywie et Rivière ne l’entendent pas de cette oreille et en profitent au contraire pour demander la reconnaissance du plagiat. Ils l’obtiennent six ans plus tard : le tribunal constate qu’« On va s’aimer » est bel et bien une contrefaçon d’« Une fille de France ». Il interdit à Gilbert Montagné et Didier Barbelivien d’exploiter leur hit et les condamne à réparer le préjudice subi par les victimes. La décision est confirmée en appel en 2010, puis par la Cour de cassation italienne en 2012, qui l’a rendue définitive.
Mais l’affaire ne s’arrête pas là : Gilbert Montagné et Didier Barbelivien ne veulent pas laisser filer leurs droits d’auteur. En 2010, la SACEM et son équivalent italien, la SIAE, avaient décidé de bloquer les rémunérations générées par « On va s’aimer ». La société italienne de gestion a par la suite modifié sa documentation, afin que les fonds aillent à l’avenir directement aux auteurs d’« Une fille de France » et à leur société d’édition. Le 2 novembre 2012, Première Music groupe demande à la SACEM de faire de même. Mais Gilbert Montagné contacte lui aussi la société de gestion un mois plus tard pour réclamer ses droits d’auteur. La SACEM décide finalement qu’étant donné qu’aucune décision n’a été rendue en France et que Gilbert Montagné s’oppose à la mesure de blocage, elle doit libérer les fonds… au profit du chanteur.
Retour au tribunal, en France cette fois. Michel Cywie, Jean-Max Rivière et Première Music Group assignent en référé la SACEM, Gilbert Montagné, Didier Barbelivien et leurs sociétés d’édition. Ils demandent que le blocage des rémunérations soit maintenu, le temps que les décisions italiennes soient déclarées applicables dans l’Hexagone. Ils rappellent dans leurs conclusions que le plagiat a été définitivement reconnu et que Gilbert Montagné et Didier Barbelivien « ne disposent d’aucune qualité ni intérêt à exiger le versement de droits d’auteur par la SACEM ». En face, les deux contrefacteurs demandent le versement de leurs redevances, « indûment bloquées depuis 2012 », sous astreinte de 2000 euros par jour de retard. Ils ajoutent qu’il leur sera toujours possible de rembourser les sommes par la suite si les juridictions françaises le décident, « étant depuis 40 ans deux des auteurs interprètes les plus réputés de la chanson française et parmi ceux qui perçoivent des revenus importants et réguliers de droit d’auteur ».
Le 12 mars 2013, le juge des référés les déboute et ordonne de mettre en réserve les rémunérations générées par le titre depuis janvier 2012, en France et à l’international, le temps que les décisions italiennes soient jugées valables en France. Il faudra attendre encore plusieurs années avant que ce ne soit fait : les arrêts des juridictions italiennes sont finalement reconnus par la justice française entre novembre 2015 et avril 2018.
Pendant ce temps en Italie, les juges tentent d’estimer le montant des indemnités que doivent percevoir Michel Cywie et Jean-Max Rivière pour le plagiat de leur chanson jusqu’en 2013. En 2015, le tribunal de Milan évalue d’abord le préjudice à près de 2,05 millions d’euros. Deux ans plus tard, la somme est réduite en appel et fixée à plus d’1,67 million d’euros. Gilbert Montagné, Didier Barbelivien et les sociétés Abramo et Universal Music contestent la décision devant la Cour de cassation italienne, qui accepte finalement certains de leurs arguments. Le 19 mai 2021, elle juge que les auteurs d’« Une fille de France » ne peuvent pas récupérer l’intégralité des bénéfices qu’avaient réalisés Montagné et Barbelivien avec leur tube : il faut y retrancher les frais de création, mais aussi leur « contribution propre au succès de l’œuvre » - la notoriété de l’interprète, ses compétences musicales qui ont suscité l’intérêt du public, etc. L’affaire est renvoyée devant la cour d’appel de Milan, qui n’a toujours pas statué.
La justice française s’intéresse quant à elle aux droits d’auteur à verser à partir d’avril 2013, après la condamnation de Montagné et Barbelivien pour plagiat. Les décisions italiennes étant alors reconnues en France, les victimes de la contrefaçon exigent que le catalogue de la SACEM soit modifié, pour qu’ils obtiennent les prochaines rémunérations. Le tribunal judiciaire de Paris leur donne gain de cause en 2020, tout comme la cour d’appel l’année suivante. « C’est uniquement à partir de cette décision que la SACEM a commencé à verser les droits à mes clients », explique Me Jean-Marie Guilloux, avocat de Michel Cywie, Jean-Max Rivière et Première Music Group. Mais le 25 mai 2023, la cour de cassation annule finalement l’arrêt : elle constate que les décisions qui ont reconnu en France les arrêts italiens n’ont pas été communiquées en bonne et due forme à Montagné et Barbelivien, mais seulement à la SACEM. Les droits d’auteur sont à nouveau suspendus.
L’affaire est renvoyée devant la cour d’appel de Paris. À l’audience du 11 septembre 2024, Universal Music, Gilbert Montagné et Didier Barbelivien demandent le maintien du blocage des droits d’auteur, le temps que les juridictions italiennes statuent définitivement sur le préjudice à régler pour la période antérieure à 2013. Ils souhaitent aussi que les auteurs d’« Une fille de France » restituent les rémunérations qu’ils ont perçues de la SACEM suite à l’arrêt rendu trois ans plus tôt. Ils affirment que la demande de Cywie, Rivière et Première Music Group n’est pas recevable, puisqu’elle ne cite pas Barbelivien du côté des ayants droit d’« Une Fille de France » alors qu’il en est l’un des paroliers. Ils estiment que le plagiat de l’œuvre n’est que partiel puisqu’il ne concerne que la musique, pas les paroles, et que les victimes ne peuvent donc pas recevoir l’intégralité des droits d’auteur. Gilbert Montagné ajoute qu’en tant qu’interprète, il doit obtenir un pourcentage de ces rémunérations, puisqu’il a contribué au succès de la chanson.
Des arguments que réfute la cour d’appel de Paris dans son arrêt du 9 octobre 2024. Elle constate que Barbelivien a bien été assigné dans toutes les procédures en sa double qualité de coauteur, du côté des coupables comme des victimes, et qu’il bénéficie lui aussi de la demande de Cywie, Rivière et Première Music Group. Elle rappelle que la justice italienne a reconnu un plagiat total et non une contrefaçon partielle, et elle considère que la procédure encore en cours en Italie n’est pas pertinente, puisqu’elle concerne le montant de dommages et intérêts antérieurs. Quant aux droits d’artiste-interprète de Montagné, ils n’ont rien à voir avec l’affaire, qui s’intéresse aux droits d’auteur. Énième victoire pour Michel Cywie, Jean-Max Rivière et Première Music Group. « Pour eux, c’est une décision juste, indique Me Guilloux. Ils vont à nouveau toucher leurs droits, comme ils auraient dû les percevoir depuis l’origine, pour l’exploitation de l’œuvre en France et dans le monde entier. » La décision n’est cependant pas définitive : Gilbert Montagné et Didier Barbelivien peuvent à nouveau se pourvoir en cassation.
Contacté, Didier Barbelivien se refuse à tout commentaire. Gilbert Montagné, Universal Music et leurs avocats respectifs n’ont pas répondu à nos sollicitations.