L'abonnement à l'Informé est à usage individuel
Un autre appareil utilise actuellement votre compte
Continuer la lectureMarianne : de nouveaux investisseurs pour la reprise, sur fond de malaise dans la rédac
Plusieurs entrepreneurs se sont ralliés au consortium mené par Jean-Claude Delgènes afin de reprendre le magazine à son propriétaire actuel. Les journalistes comptent se réunir en assemblée générale ce jeudi.

Heure de vérité pour la cession du magazine Marianne, propriété de CMI France (Franc-Tireur, Télé7Jours, Elle…). Un consortium emmené par Jean-Claude Delgènes, président du cabinet Technologia, vient de déposer, ce jour, une offre formelle de rachat, a appris l’Informé. Elle est portée par près d’une dizaine d’investisseurs. Certains sont engagés dans le processus depuis des semaines, comme nous le révélions ici : l’informaticien Mathieu Pouydesseau par exemple, et le vice-président Insights et data chez CapGemini, Mamadou Sy. D’autres viennent tout juste de les rejoindre. Parmi les nouveaux venus, on trouve notamment Ismaël Le Mouël, cofondateur de HelloAsso, une start-up d’aide à la gestion des associations détenue aujourd’hui par les caisses régionales du Crédit Mutuel. Il participe à cette opération via sa holding personnelle Kairos et doit prendre la tête du comité d’orientation du titre. Une autre personnalité du business n’a pas encore donné son feu vert définitif mais serait prête à se joindre à cet attelage : il s’agirait d’une milliardaire à la tête d’un groupe industriel européen, connue pour ses activités de mécénat.
Tous seront réunis au sein du fonds Eugène Delacroix, créé à cette occasion et présidé par Delgènes. Ce fonds sera le président de la société coopérative d’intérêt collectif (SCIC) qui doit reprendre le journal. Il comportera un collège des salariés (dans lequel les employés auront une part du capital), avec parmi eux, un autre des investisseurs : Maxime Verner, fondateur du cabinet de conseils MegaTrends. S’ajouteront un collège partenaires, qui comptera notamment la coopérative UpCoop, et un collège lecteurs dans lequel il sera possible d’acquérir des parts pour 100 euros pièce.
L’ensemble va apporter entre 5 et 10 millions d’euros pour financer le magazine durant trois ans. La société des rédacteurs (SRM) de Marianne a jusqu’ici bien accueilli cette proposition mais la balle est désormais dans le camp de CMI France. Contactée, la direction indique qu’elle étudiera l’offre, même si celle-ci est jugée décevante, avec un prix d’acquisition négatif pour l’hebdomadaire. De son côté, Jean-Claude Delgènes n’a pas souhaité faire de commentaire. Les salariés, eux, tiendront une assemblée générale jeudi 6 février pour échanger autour de la proposition formulée. « Nous espérons obtenir avant cela plus de détails sur l’offre, nous indique la SRM. Mais l’idée d’acheter le titre peu cher, et d’injecter plus tard davantage d’argent pour le développer nous paraît bonne. » Le temps presse. Car une clause de conscience a déjà été ouverte afin de permettre aux journalistes de partir volontairement avec de l’argent. Ce dispositif a été mis en place quand CMI France comptait conserver l’hebdomadaire mais en changer sa ligne éditoriale en la plaçant sous la responsabilité de Frédéric Taddeï, journaliste décrié pour ses collaborations avec la chaîne russe RT France et CNews, attendu chez Marianne le 1er mars. Un virage éditorial décidé alors que le magazine perd toujours 50 000 euros par semaine selon la direction, après avoir accusé un déficit de 3 millions d’euros en 2023.
Pour inciter encore davantage les salariés à partir, le groupe de Daniel Kretinsky a ajouté une bonification de la clause de conscience, particulièrement intéressante pour les plus jeunes. Le hic ? Ce bonus n’est disponible que jusqu’au 21 février. Des conditions qui ont conduit le CSE à préparer un référé contre leur employeur. Leur argumentaire ? Les transformations qui bousculent Marianne depuis plusieurs mois relèvent d’un changement des conditions de travail, et auraient donc dû provoquer l’ouverture d’une information consultation auprès du CSE du titre. Via ce référé, en cours de dépôt, les équipes demandent donc l’ouverture de cette consultation, mais tentent surtout de faire pression auprès de CMI afin d’obtenir de meilleures conditions de départ, et un allongement de la bonification de la clause de conscience. Selon nos informations, le CSE ne s’interdit donc pas de retirer ce référé si CMI se montre plus magnanime à l’égard des salariés.
Autre point d’attention : l’évolution de la ligne éditoriale de Marianne, que les journalistes voient déjà bouger. « On sent qu’on doit être prudents sur les sujets qui touchent à Emmanuel Macron, confie l’un d’entre eux. Les enquêtes du service investigation ne passent plus vraiment, et on a signifié au service international qu’ils feraient désormais leurs enquêtes à Paris, sans se déplacer. » Un papier prévu dans le prochain numéro suscite un vif émoi au sein de la rédaction : il s’agit d’un débat entre le député François Ruffin et… Denis Olivennes, bras droit du propriétaire du magazine Daniel Kretinsky, en pleine promotion de son nouvel ouvrage La France doit travailler plus (Éditions Albin Michel). « On n’aurait jamais fait ça avant, interviewer notre dirigeant dans le journal. C’est totalement malvenu, après tout le combat mené pour défendre notre indépendance et obtenir des garanties face à Pierre-Édouard Stérin [ndlr : un temps candidat à la reprise du titre] notamment, estime un journaliste. Quand on a exprimé notre malaise, la nouvelle directrice de la rédaction, Ève Szeftel, nous a rappelé qu’une clause de cession était ouverte et que ceux qui le souhaitaient pouvaient la prendre. » À la direction, on assure que ce n’est pas Denis Olivennes qui a demandé cette interview croisée. On ajoute que Marianne avait déjà publié en 2021 un entretien entre Fabien Roussel et Denis Olivennes. « À l’époque, Olivennes était membre du conseil de surveillance de CMI France, alors qu’aujourd’hui il en est le président », rétorque un journaliste.