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Continuer la lectureL’Express : Alain Weill envisage une cotation en Bourse
Le propriétaire de l’hebdomadaire a proposé à plusieurs groupes de presse d’entrer au capital du news magazine, afin de financer ses développements en Europe et dans les salons virtuels.

Les temps sont durs pour les news magazines. Alors que Le Point vient d’engager un plan social de 58 postes, et que Marianne enregistre de nombreux départs dans le cadre d’une clause de conscience, un autre hebdomadaire, l’Express, cherche, lui, un investisseur. Le propriétaire du titre Alain Weill a déclaré aux Échos chercher un nouvel actionnaire à hauteur de 20 % à 30 % du capital pour lever environ 15 millions d’euros. Il a confié un mandat en ce sens à la banque Rothschild. Pour les convaincre, l’entrepreneur leur a notamment adressé un dossier avec son plan d’affaires, dont l’Informé a pu prendre connaissance, avec l’objectif d’une introduction en Bourse d’ici à 2027.
Interrogés, ni le groupe le Monde, déjà détenteur du Nouvel Obs, ni CMI de Daniel Kretinsky, propriétaire de Marianne, ne semblent être intéressés à entrer au capital. Même chose pour Reworld ou CMA CGM, nouveau poids lourd des médias emmené par le milliardaire Rodolphe Saadé. Un autre investisseur aux poches profondes, Pierre-Édouard Stérin, nous indique en revanche : « si le magazine est à vendre, on sera très heureux de regarder le dossier. » Au printemps dernier, l’entrepreneur catholique, candidat à la reprise de Marianne, avait déjeuné avec Alain Weill afin d’obtenir des conseils en termes de management et de régie publicitaire. Mais aujourd’hui, le propriétaire de l’Express exclut cette piste, qui « n’aurait pas de sens », explique-t-il à l’Informé.
Auprès des investisseurs approchés, l’entrepreneur met en avant « une pépite » : l’Express Connect. Il s’agit d’une activité de salons professionnels proposés en ligne, avec des webinaires ou des masterclasses consacrés à des thématiques variées comme les ressources humaines ou la franchise. Un business développé grâce à la jeune pousse lyonnaise What the Franchise, rachetée en 2023. « C’est une startup dont la trajectoire est particulièrement prometteuse, nous assure Alain Weill. Elle représente d’ores et déjà une diversification réussie, et deviendra la première activité du groupe dans les prochaines années. » Le dirigeant est tellement convaincu de son potentiel que le dossier présenté à d’éventuels actionnaires prévoit une introduction en Bourse dès 2027, un projet qu’il a même déjà dévoilé en interne. « La valorisation attendue (de l’Express Connect) est de 5 à 10 fois le revenu récurrent annuel », détaille le document.
Officiellement, l’objectif affiché est de trouver quelqu’un capable d’« accompagner » ce développement, mais aussi l’expansion paneuropéenne de l’hebdomadaire, présentée lors d’une conférence de presse en novembre. Le projet ? S’appuyer sur l’intelligence artificielle (IA) pour traduire automatiquement le site en 24 langues de l’UE. L’équilibre serait atteint avec 1 000 abonnés par pays en s’appuyant sur le site du magazine, indique le plan d’affaires transmis aux investisseurs.
Pour ce faire, Alain Weill a demandé à Guillaume Dubois de mener une étude, selon nos informations. L’ancien directeur de BFM TV et de l’Express est de retour après avoir été à la tête d’Euronews de 2022 à 2024, où il voulait déjà s’appuyer sur l’IA afin de réduire les sujets écrits par la rédaction centrale de la chaîne à Bruxelles. Il a été remercié d’Euronews l’an dernier, après avoir mené un plan de licenciements de 170 salariés sur 380.
Alain Weill a aussi recruté l’ancien directeur de la rédaction du Point, Sébastien Le Fol, pour devenir l’un des adjoints d’Eric Chol. « Tout le monde s’attend à ce que Le Fol prenne rapidement la tête du journal comme il l’avait fait au Point, car le bilan de l’actuel directeur de la rédaction n’est pas bon en termes de diffusion », indique une source interne. Interrogé sur le sujet, le propriétaire balaie le sujet : « pourquoi devrait-il être remplacé alors qu’il fait un excellent travail depuis cinq ans ? »
Revers de la médaille : ces projets nécessiteront de lourds investissements. Les pertes brutes d’exploitation liées au développement européen du magazine s’élèveraient à 5 millions d’euros sur deux ans, et celles de Connect atteindraient 8 millions sur trois ans (2024-26), nous indique le dirigeant. Mais les revenus du groupe pourraient quadrupler : « nous visons les 100 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2029 », assure le créateur de BFM TV.
Cette prévision très optimiste demande toutefois à être prise avec prudence, car aucune promesse n’a été tenue dans le passé. Lors de la relance du magazine en 2020, Alain Weill prévoyait 200 000 abonnées en 2023 (dont la moitié en numérique) : ils n’étaient finalement que 106 370 cette année-là.
Quant à l’équilibre, il est promis régulièrement depuis 2020… puis toujours repoussé. Lors d’une conférence de presse en novembre dernier, le patron de presse a encore assuré : « 2024 est une année importante pour nous, puisque nous sommes à l’équilibre ». En réalité, l’exercice, durant lequel les dirigeants ont touché 500 000 euros de commission, s’est soldé par une perte opérationnelle de 768 733 euros, selon nos informations. « En 2024, l’excédent brut d’exploitation a été positif. On peut donc considérer que le journal est à l’équilibre, nous assure son propriétaire. Depuis le rachat, les résultats se sont régulièrement améliorés, malgré la terrible période du covid, et alors que le journal perdait 12 millions par an lors de sa reprise. »
Quant au chiffre d’affaires, il a augmenté de 13 % l’an dernier, grâce notamment à une hausse régulière du prix de vente, passant de 4,90 à 5,90 euros au printemps 2021, puis à 6,90 euros en janvier 2023. Mais cette inflation a pénalisé encore un peu plus les ventes. En 2024, elles ont reculé de 8,3 %, à 179 640 exemplaires par semaine, derrière celles du Point (293 000 à -2 %) et du Nouvel Obs (184 217 à -6,3 %). Dans le détail, la diffusion en kiosque a chuté de 9,4 % à 9 000 exemplaires, et de plus de 9 % pour les abonnements papiers, à 71 200 unités. Seul le numérique progresse légèrement de 2 %, à 25 213 copies.
Au total, depuis le rachat en 2019, le chiffre d’affaires s’est effondré de 45 %, et la diffusion payée en France a plongé de 42 %, selon l’ACPM (ex-OJD). Ce à quoi le président du groupe nous rétorque « ne plus s’intéresser aux chiffres de diffusion ». « Les études sont désuètes et abandonnées dans de nombreux pays, assure Alain Weill. Nos concurrents directs ont peut-être une diffusion plus élevée, mais non rentable. Sur le modèle de The Economist, l’Express ne cherche pas à tout prix la performance [des chiffres de diffusion], qui oblige à élargir sa cible avec du contenu très éloigné de sa ligne éditoriale, comme le font beaucoup de journaux ».
Désormais, le patron de presse ne jure plus que par les chiffres d’audience, qui incluent les visites sur le site internet. Un indicateur en léger recul sur le public âgé de 15 ans et plus (cf. graphe ci-dessous). Le dirigeant nous dit « assumer cette légère baisse, pour une audience plus qualitative, avec en parallèle une amélioration des résultats financiers qui est la priorité ». En effet, l’audience sur les cibles visées est en hausse : + 16 % en un an sur les CSP +, et + 79 % sur les chefs d’entreprise. « 59 % des lecteurs sont des actifs, c’est 6 % de plus en un an, ajoute-t-il. Avec un âge moyen de 52 ans, l’Express rassemble le lectorat le plus jeune des magazines d’actualité ». Au final, cette stratégie « très qualitative » aboutit à des recettes publicitaires « en hausse », selon lui.

L’Express TV toujours en ligne de mire
Alain Weill est tenace. Après avoir échoué à obtenir une fréquence pour déployer l’Express sur la télévision numérique terrestre (TNT) l’an dernier, le dirigeant planche sur un plan B. S’il n’a pas souhaité acquérir Chérie 25, mise en vente par son propriétaire NRJ, il cherche toutefois à récupérer une des quatre fréquences rendues cet été par le groupe Canal +. Mais rien ne dit que cette ressource sera utilisée pour de nouvelles chaînes gratuites. « Cela fragiliserait les deux nouvelles chaînes, T18 de CMI France et Novo19 de Ouest France, qui vont déjà devoir se faire une place dans le Paf, indique un connaisseur. Il y a, en outre, un fort lobby de TF1 et de M6 pour ne pas faire entrer un nouvel acteur qui risque de capter des recettes publicitaires, et pour les réserver plutôt à la très haute définition (4K) ». Pour trancher la question, le gendarme du secteur a lancé une consultation publique qui se terminera le 13 juin. Restera alors un plan C. Les fréquences de six chaînes (L’Équipe, 6Ter, RMC Découverte et Story, Chérie 25 et TF1 Séries Films) seront remises en jeu en 2026.