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Continuer la lectureÉcarté de LCI car trop proche de Marine Le Pen, Jérôme Sainte-Marie fait payer la chaîne
Les chroniques du politologue avaient été suspendues suite à un article révélant qu’il travaillait pour le Rassemblement national.

Peut-on se poser en politologue neutre quand on travaille pour le Rassemblement national ? Telle était la délicate question posée au tribunal de commerce de Paris. Les juges consulaires ont été saisis par Jérôme Sainte-Marie, sondeur passé par les instituts Harris et BVA, avant de fonder sa propre société, Polling Vox. Recruté comme chroniqueur par LCI, où il intervenait en moyenne 3 fois par semaine, il a été écarté de l’antenne en janvier 2020, quand l’Express a révélé sa collaboration avec le RN. La chaîne d’info a suspendu son contrat jusqu’aux municipales de mars 2020. L’expert l’a attaquée en justice, réclamant 136 500 euros. Il n’en aura pas tant : le tribunal vient de lui accorder 10 800 euros, plus 4 000 euros de frais de procédure. La somme correspond aux chroniques non réalisées durant les deux mois de suspension, à raison de 500 euros par intervention. Une victoire en demi-teinte, donc.
À son profit, les juges ont estimé que la suspension du contrat était « infondée », car Jérôme Sainte-Marie en avait respecté les termes. En effet, ce texte n’interdisait nullement au sondeur de travailler pour des partis politiques. D’ailleurs, la filiale de TF1 ne lui a pas reproché ses contrats avec le RN, mais sa proximité avec le parti. Elle a affirmé que Jérôme Sainte-Marie n’avait pas respecté une clause imposant de respecter des valeurs de « probité, dignité et moralité dans la conduite de ses affaires », mais aussi « une exemplarité », afin de permettre « une exploitation paisible du programme ».
Pour soutenir cette accusation, l’unique pièce à conviction de LCI était l’article de l’Express de janvier 2020. Celui-ci affirmait que Jérôme Sainte-Marie avait travaillé pour le RN lors de la présidentielle de 2017, puis avait aussi proposé - cette fois en vain - de travailler pour les européennes de 2019. Toutefois, aucune facture en sa faveur n’avait été retrouvée dans les comptes de campagne. Et le sondeur avait déclaré à l’hebdomadaire : « Vous ne trouverez pas la moindre relation commerciale entre Marine Le Pen et moi. » (l’Express révélera plus tard que le politologue passait par un ami pour facturer ses prestations pour plus de discrétion). Le magazine ajoutait que l’intéressé était un ami et associé de Patrick Buisson, et entretenait « de bonnes relations avec les membres de la ‘nouvelle droite’, comme Alain de Benoist, ou François Bousquet, le patron de l’officine d’extrême droite la Nouvelle Librairie ». Le texte soulignait que « Marine Le Pen apprécie particulièrement ses analyses ». Et concluait : « la Sainte-Marie mélodie est douce aux oreilles des troupes lepénistes. Une musique jouée à longueur de soirées sur LCI, la chaîne où le conseiller officie comme chroniqueur rémunéré. »
Mais le tribunal a jugé l’article de l’Express peu probant : « le travail effectué par M. Sainte-Marie est rapporté par des personnes non identifiées, et n’est pas précisément décrit. En outre, ces travaux concernent des périodes [2016-18] antérieures au contrat avec LCI [2019-20]. » Quant à la conclusion de l’article évoquant ses prestations sur LCI, elle « ne repose sur aucun fait ni décrit ni encore moins établi ». Conclusion des juges : « la situation de proximité [avec le RN] n’est pas démontrée, et repose uniquement sur le contenu d’un article peu documenté ».
La chaîne affirmait aussi que Jérôme Sainte-Marie avait manqué de « bonne foi » car il ne l’avait pas informée de sa proximité avec le RN. Mais, là encore, elle s’est fait renvoyer dans ses buts : « cette proximité, dont la réalité n’est ni établie ni démontrée par l’article de l’Express et qui a été contestée par M. Sainte-Marie, ne pouvait donner lieu à une communication à LCI : on ne peut pas communiquer des faits qui n’existent pas. »
Restaient à LCI deux autres arguments. D’abord, « un analyste et un président d’un institut de sondages est censé être relativement neutre dans son commentaire. La situation de M. Sainte-Marie mettait en cause l’honnêteté et l’objectivité de ses comptes rendus et commentaires ». Dès lors, la filiale de TF1 voulait « éviter de créer une confusion dans l’esprit des téléspectateurs sur l’objectivité d’un prestataire présenté comme neutre ». Ensuite, lors des périodes électorales, les soutiens explicites d’un parti doivent être décomptés dans le temps de parole de cette formation, sous peine de sanction. Les interventions de Jérôme Sainte-Marie auraient donc pu être comptabilisées au titre du RN.

Ces éléments n’ont guère pesé, mais les juges ont donné raison à la chaîne info sur un autre point. Ils ont estimé que la rupture du contrat avant terme était due, non à LCI, mais à Jérôme Sainte-Marie. En effet, la filiale de TF1 avait proposé au politologue de revenir à l’antenne après les municipales de 2020 jusqu’à la fin de son contrat en juillet 2020, mais il avait décliné. Dès lors, le tribunal a débouté Jérôme Sainte-Marie de ses demandes de dommages pour « discrimination en raison de ses opinions politiques » (45 000 euros) et « préjudice de réputation » (50 000 euros).
Aujourd’hui, Jérôme Sainte-Marie ne cache plus sa proximité avec le Rassemblement National, même s’il n’a pas pris sa carte du parti. En 2021, il est intervenu contre rémunération devant les députés européens du RN dans le cadre d’une conférence organisée par la fondation ID. En 2022, il a conseillé Marine Le Pen lors de la présidentielle, puis a pris la parole aux rentrées parlementaires du parti. Enfin, depuis mars 2023, il dirige Campus Héméra, l’école des cadres du mouvement, et l’a présentée lors d’une conférence de presse commune avec Jordan Bardella. S’il n’intervient plus sur LCI, on l’a vu à plusieurs reprises sur CNews, où il est présenté comme « analyste politique » ou « sondeur ». « Quand je suis invité dans une émission de télé, on précise maintenant à chaque fois que j’ai un contrat avec le RN. Mais, pendant trente ans, on n’a jamais demandé avec qui je travaillais », a-t-il déclaré au Parisien.
À noter que Libération a récemment révélé que la proximité du politologue avec la droite de la droite ne date pas d’hier selon le quotidien, c’est sur une suggestion de Patrick Buisson qu’il avait été recruté en 2010 comme directeur général adjoint de l’institut CSA (filiale du groupe Bolloré).
Contactés, les avocats de Jérôme Sainte-Marie Mikael Regis et Martine Leboucq-Bernard n’ont pas répondu, tandis que LCI n’a pas souhaité faire de commentaires.