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Continuer la lectureComment Sud Radio profite de sa « parole libre »
Le repositionnement très à droite de la radio lui a permis de tripler son chiffre d’affaires et de diminuer ses pertes. Son propriétaire, le groupe d’expertise comptable Fiducial, dément tout projet de vente.

Invités sulfureux, vidéos polémiques… Depuis son rachat il y a douze ans par le groupe d’expertise comptable Fiducial, Sud Radio assume un repositionnement éditorial marqué. « On est là pour faire de la contre-information, du réarmement », revendique son animateur phare, André Bercoff. La station n’hésite pas à recevoir des complotistes (Alexis Cossette-Trudel), des antivax (Christian Perrone, Jean-François Toussaint, Laurent Toubiana…), et surtout des personnalités très à droite (Renaud Camus, Papacito, Damien Rieu…). Selon une étude de l’émission Complément d’enquête, c’est aussi le média qui donne le plus la parole aux climatosceptiques. Sur YouTube, où la chaîne compte un million d’abonnés, les vidéos les plus vues sont des interviews de Philippe de Villiers (2,3 millions de vues), du complotiste pro-Poutine Jacques Baud (2,3 millions), du financier d’extrême droite Charles Gave (2,1 millions), du professeur d’extrême gauche Étienne Chouard (1,8 million), de l’antivax Idriss Aberkane (1,5 million), de Didier Raoult (1,5 million) ou Michel Onfray (1 million).
Ce repositionnement est assurément un succès commercial, selon les données obtenues par l’Informé. Le chiffre d’affaires a triplé, pour atteindre 7 millions d’euros sur l’exercice clos fin septembre 2024. Tout comme le nombre d’auditeurs quotidiens, à 476 600 entre septembre 2022 et juin 2024 selon Médiamétrie. De quoi renouer avec les scores de sa grande époque (511 000 aficionados en 2007).
Point de miracle cependant : l’audience reste inférieure à 1 % – ce qui explique que Médiamétrie ne fasse pas figurer ces performances dans ses communiqués. Elle décroît même de 12 % en Île-de-France, avec 85 000 auditeurs par jour entre septembre 2023 et juin 2024. Faute de public suffisant, la station n’est pas encore rentable. « Le point d’équilibre se situe à 800 000 auditeurs », déclarait il y a quatre ans dans Challenges Philippe Vives, le directeur exécutif de Fiducial Médias, promettant l’équilibre d’ici deux à trois ans, soit en 2022-23. Un objectif non tenu : même si les déficits se réduisent, « Sud » a encore perdu 3,3 millions d’euros lors de l’exercice 2023-24, pour un total englouti de 54 millions d’euros depuis son rachat (cf. chiffres ci-dessous).
La raison ? La nouvelle stratégie coûte cher. Les dépenses sont passées de 3 à 10 millions d’euros par an. Des animateurs connus, souvent répudiés par la concurrente historique RMC, ont été recrutés, comme Jean-Jacques Bourdin ou Brigitte Lahaie. Et une diffusion supplémentaire en numérique DAB + a augmenté les frais. Des nouveaux locaux en région parisienne ont aussi été inaugurés, quand le site historique de la banlieue de Toulouse a été fermé (cf. encadré).
Reste à savoir si Fiducial voudra poursuivre cette coûteuse aventure encore longtemps. À l’origine, le rachat de la radio (pour 7 millions d’euros) était la volonté du patron fondateur du groupe, Christian Latouche. Désireux de se développer dans les médias, il avait tenté de mettre la main sur l’Express, l’Expansion, la Tribune, Nice matin ou Valeurs actuelles… En vain, les rédactions s’alarmant du profil de ce dirigeant venu défendre ses idées devant le bureau politique du Front national ou à l’université d’été du Mouvement national républicain, le parti de Bruno Mégret. Chez Sud Radio, Fiducial avait donc dû montrer patte blanche. Didier Maïsto, le premier patron envoyé par le nouveau propriétaire avait assuré : « Nous ne voulons pas faire une radio d’opinion, mais une station généraliste qui diffuse une parole libre… Je ne veux pas de journalisme militant à l’antenne. Ce serait prendre les auditeurs pour des idiots. »
Mais aujourd’hui Christian Latouche a 85 ans. Selon Médiacités, son état de santé s’est détérioré, au point même de l’empêcher de gérer ses affaires. De quoi raviver les rumeurs récurrentes sur une cession de l’ex-Radio Andorre, systématiquement démenties par l’actionnaire. Cette fois, on évoque un intérêt du milliardaire catholique Pierre-Édouard Stérin. Mais le porte-parole du groupe d’expertise comptable assure à nouveau que « Fiducial n’est pas vendeur ! "
Contactés à plusieurs reprises, Patrick Roger et Philippe Vives n’ont jamais répondu, tandis que le porte-parole de Pierre-Édouard Stérin s’est refusé à tout commentaire.
L’emploi, une promesse non tenue
Lors du rachat de la station, Fiducial s’était engagé au « maintien de l’emploi à Toulouse ». Le groupe a finalement fermé le site historique de la radio et licencié tout le personnel, excepté un correspondant local. Deux plans de sauvegarde ont été menés en 2016 (7 postes) puis 2017 (12 postes), selon nos informations. À chaque fois, la direction a invoqué un motif économique justifié par les pertes récurrentes. Au moins quatre salariés ont contesté leur licenciement, en soulignant que Fiducial était globalement bénéficiaire. Ils ont gagné en première instance, mais perdu en appel. « Les difficultés économiques sont avérées », a estimé la cour d’appel.
« En fermant le site de Toulouse, tous les membres du comité d’entreprise ont été licenciés, se souvient Christophe Bernard, ex-correspondant régional à Bordeaux et délégué du personnel UNSA. Mais plus personne n’osait demander l’organisation de nouvelles élections professionnelles. Lorsque j’ai soulevé la question, j’ai été licencié à mon tour. » Lui aussi a été écarté pour motif économique, et a saisi les prud’hommes, arguant qu’en réalité, « les pertes sont dues à la volonté du dirigeant de posséder un média d’envergure nationale quel qu’en soit le coût ». Il a aussi produit le témoignage d’une collègue, selon laquelle le directeur de l’époque, Didier Maïsto, aurait déclaré à son sujet : « Il m’a emmerdé, et je virerai tous ceux qui m’emmerdent ». Finalement, il a obtenu en appel 65 000 euros d’indemnités au motif qu’aucune proposition de reclassement n’avait été faite. Il a obtenu 3 168 euros d’indemnités supplémentaires en raison de l’absence d’élections professionnelles.
Selon le syndicaliste, le nouveau propriétaire a aussi développé les contrats de piges et de prestations, au détriment du salariat traditionnel. En 2018, les flashs et journaux ont notamment été sous-traités auprès de l’agence A2PRL, selon la Lettre pro de la radio. En neuf ans, la masse salariale directe est ainsi tombée de 3,3 à 1,3 million d’euros (charges sociales incluses). Ce système permet de se séparer plus facilement des collaborateurs, mais n’empêche pas toujours les condamnations. Ainsi, l’animateur Eric Morillot, qui fournissait son émission hebdomadaire via sa société personnelle, a attaqué Sud Radio devant le tribunal de commerce lorsque son contrat a été rompu en 2021. Il a obtenu 15 247 euros pour « rupture brutale des relations commerciales ». La radio n’a pas fait appel.
Premières interventions de l’Arcom
Contrairement à C8 ou CNews, Sud Radio est longtemps restée sous les radars de l’Arcom, échappant à tout rappel à l’ordre. En 2020, le gendarme de l’audiovisuel a fini par être saisi par la ministre de la culture de l’époque, Roselyne Bachelot, suite aux propos tenus par une auditrice au sujet de Rokhaya Diallo : « Madame Diallo, elle n’aurait pas bénéficié de tout ce qu’offre la France, je crois qu’il y aurait de fortes chances qu’elle serait en Afrique avec 30 kg de plus, 15 gosses, en train de piler le mil par terre, et d’attendre que monsieur lui donne son tour entre les 4 autres épouses. » Le régulateur avait alors engagé une procédure de sanction en saisissant son rapporteur indépendant, qui a finalement recommandé de ne pas engager de poursuites.
De premiers rappels à l’ordre ont fini par intervenir à partir de 2022. La radio a écopé d’une mise en garde suite aux propos sur l’Ukraine tenus par Adrien Bocquet, ancien militaire français devenu pro-Russe. Une autre est tombée après l’invitation du climatosceptique François Gervais : il avait déclaré que le dérèglement climatique était « un bien » car « le froid tue beaucoup plus qu’un peu de chaleur ». Une troisième mise en garde a été décidée suite aux sorties de Rémy Prud’homme et Christian Gérondeau contestant ou minimisant le réchauffement.
Montant d’un cran sur l’échelle des réprimandes, une mise en demeure a été infligée après les déclarations de Renaud Camus sur sa théorie du grand remplacement. Pour l’Arcom, l’écrivain « a décrit de manière inquiétante [les personnes issues de l’immigration] dans leur ensemble, en employant un vocabulaire invitant à la haine et à la violence à l’encontre de ce groupe en raison de sa race, de ses origines ethniques et de sa nationalité. En outre, l’invité a dépeint une image inquiétante des personnes immigrées dans leur ensemble, en les présentant comme refusant toute intégration à la société française, et ayant une volonté de domination. Ces propos sont de nature à susciter un sentiment de rejet et de crainte à l’égard de ces personnes, encourageant ainsi des comportements discriminatoires en raison de leur origine, et de leur race ». La station avait alors annoncé un recours devant le Conseil d’État, qui, selon nos informations, l’a déboutée, confirmant le rappel à l’ordre.
Toutes ces réprimandes concernent les invités d’André Bercoff. Interrogé par le Figaro, le directeur général de la station Patrick Roger a défendu son animateur phare : « II est capable de donner la parole à des gens qui ne peuvent pas s’exprimer ailleurs… Il veut ouvrir plutôt que fermer, comme cela se passe dans les médias mainstream, qui se contentent de quelques invités. Mais si nous nous enfermons dans un certain schéma, nous arrivons à une forme de dictature de l’expression où il n’y aurait plus que quelques personnes qui auraient accès à des micros. » Le patron se défendait aussi de défendre une ligne politique : « C’est une radio multicolore et pas monocolore. Quand vous regardez l’ensemble des chroniqueurs et éditorialistes, il y a des gens de tous bords. C’est cette richesse de parole et d’opinions qui apporte du débat… On prône la liberté d’expression et un ton libre. Si nous n’invitons que des gens avec lesquels nous sommes d’accord, alors on va très vite tourner en rond. »
Auprès de Complément d’enquête, Patrick Roger a ajouté : « À partir du moment où il n’y a pas un appel à la haine, si on s’interdit de donner la parole, alors on va vers un régime totalitaire, d’une seule parole avec une seule pensée, ce qui est assez dangereux. »
