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Continuer la lectureBFM, RMC… le joli loyer que continuera d’empocher Patrick Drahi
Le magnat des télécoms a vendu ses médias à Rodolphe Saadé, mais conserve toujours 50,1 % de l’immeuble qui les abrite.

« Je trouve que vous avez de très beaux locaux. Ils sont modernes et bien équipés. Il y a tout ce qu’il faut. Les studios de tournage sont impressionnants. » Ce mardi 19 mars, Rodolphe Saadé fait le tour du propriétaire de sa nouvelle acquisition, apparemment satisfait : cinq jours plus tôt, le patron de CMA CGM a annoncé le rachat de BFM et RMC à Patrick Drahi pour la coquette somme de 1,55 milliard d’euros. À la fin de la journée, il répond aux représentants du personnel. Entre inquiétudes sur l’interventionnisme du nouvel actionnaire et interrogations sur le futur management, une question pratique est soulevée : un déménagement est-il envisagé ? À écouter le milliardaire marseillais, il n’en est rien, même si la facture est salée. « J’ai quand même fait une étude de marché pour voir si vous n’avez pas payé trop. C’est pas donné. Vous avez de la chance ! », souffle l’armateur. Il sait peut-être que l’heureux propriétaire des locaux n’est autre que Patrick Drahi lui-même… mais il n’en fera aucune mention.
Si le nouveau capitaine de BFM exclut un déménagement à court terme, c’est peut-être qu’il n’a pas trop le choix : le bail signé en 2016 par la chaîne d’info en continu s’avère très contraignant pour le locataire selon nos informations. D’abord, il s’étale sur 12 ans fermes, jusqu’en mai 2028 donc, une durée bien plus longue que les baux commerciaux traditionnels (3/6/9 ans). Ensuite, il prévoit un préavis de 3 ans avant tout congé. Enfin, il impose qu’un renouvellement doive se faire pour 9 années minimum.
En plus de ces conditions strictes, le loyer est onéreux. En 2016, il atteignait 14 millions d’euros par an, soit 541 euros du mètre carré par an hors charges. Un montant élevé, à en croire une expertise commandée par Patrick Drahi lui-même au spécialiste de l’immobilier CBRE : le cabinet constatait que des bureaux sur la rive gauche de Paris dans un état neuf ou rénové se louaient entre 300 et 530 euros du mètre carré par an. Comme le prix est en outre indexé sur l’indice des loyers des activités tertiaires (ILAT), il s’élèverait donc aujourd’hui à 16,4 millions d’euros par an, selon nos estimations. Le bail - décidément très détaillé - précise, qu’en cas de renouvellement, le loyer correspondra au dernier montant payé, diminué d’une généreuse ristourne de 12 %. Mais il ne pourra être inférieur au loyer initial, qui était donc de 14 millions d’euros.
À l’époque, le transfert dans ces nouveaux locaux avait fait l’objet d’un avis défavorable des représentants du personnel de BFM et RMC, qui avaient pointé un déménagement « onéreux » au coût « considérable », pour atterrir dans un bâtiment « inadapté à l’audiovisuel » et « déjà en limite de capacités d’accueil ». Ils soulignaient « une augmentation surprenante du prix au mètre carré », qui bondissait ainsi de 30 % par rapport aux anciens locaux situés juste à côté.
Poche gauche et poche droite
Si le bail est si favorable au propriétaire – Patrick Drahi —, ce n’est pas un hasard. En effet, lorsque BFM le signe en 2016, la chaîne d’infos appartient à 49 % à Altice France (ex-SFR Group), elle-même détenue à 84 % par la société néerlandaise Altice, elle-même détenue à 59 % par le milliardaire. Le reste du capital étant aux mains d’actionnaires minoritaires. Autrement dit, à l’époque, Patrick Drahi ne détient que 25 % de BFM. En schématisant, quand la chaîne dépensait 100 euros en loyer, cela en coûtait seulement 25 à Patrick Drahi. Mais en face, il encaissait la totalité des 100 euros déboursés… Depuis, le polytechnicien a racheté progressivement tous les minoritaires jusqu’à détenir 100 % de BFM en 2021.
Mais ce n’est pas tout. Ce bail très avantageux a aussi permis de faire bondir la valeur de l’immeuble, car la valeur d’un bien s’apprécie si le propriétaire trouve un locataire solide et durable. À l’origine, Patrick Drahi avait acheté en 2016 à Axa Investment Managers Real Assets cette tour de sept étages pour 238 millions d’euros. À peine deux semaines plus tard, il faisait signer le bail de long terme à BFM. Sept mois après, il commandait une expertise à CBRE, qui, en se basant sur ce contrat de location, l’estimait à 300 millions d’euros. La valorisation a grimpé encore à 344 millions d’euros lorsqu’en 2018 le magnat des télécoms a choisi de revendre 49,9 % du bien au groupe immobilier Primonial. Soit une centaine de millions d’euros de plus-value en seulement deux ans… . Aujourd’hui, l’immeuble reste détenu à 50,1 % par une holding luxembourgeoise de Patrick Drahi et à 49,9 % par Primonial et ses associés.
Pour être complet, il faut préciser que Patrick Drahi avait décidé de partager cette juteuse affaire avec ses associés Armando Pereira et Alain Weill. Un document issu des Drahi Leaks et révélé par Reflets indique que l’immeuble avait été acheté en 2016 via 190 millions d’euros de crédit bancaires, plus 70 millions de capitaux : 52 millions venaient du patron d’Altice, 13,5 millions de son bras droit portugais, et 6,4 millions par le fondateur de BFM.
Selon nos informations, la revente de 49,9 % à Primonial en 2018 a permis de faire rentrer (après retenue de l’impôt à la source) 79 millions d’euros nets, dont 16 millions pour Armando Pereira et 7 millions pour Alain Weill. La cession de l’autre moitié du capital devrait donc rapporter autant (contacté, Alain Weill indique avoir vendu toutes ses parts peu après la vente à Primonial).
À noter qu’aucune de ces transactions n’a fait l’objet d’une convention réglementée, un dispositif pourtant prévu par la loi dans le cas où une entreprise passe un contrat avec un de ses dirigeants ou un de ses actionnaires, sauf si l’accord est conclu aux « conditions normales du marché ». Théoriquement, cette convention doit être examinée par les commissaires aux comptes et soumise au vote des actionnaires. Un actionnaire minoritaire de SFR Group, le fonds CIAM (Charity Investment Asset Management) a estimé que l’opération constituait un « abus de biens sociaux », et avait porté plainte. Patrick Drahi avait riposté en annonçant une plainte pour « dénonciation calomnieuse ». Le dossier est toujours en cours au parquet de Paris…
Reste que l’homme d’affaires est coutumier de ce type de montages. Il détient ainsi le siège de SFR Business Solutions aux Ulis, les murs du data center de SFR à Val-de-Reuil (Normandie) et 51 % du data center de Courbevoie. Et lorsqu’il a vendu le quotidien Libération, il a pris soin de le reloger dans un immeuble qui lui appartient avenue de Choisy. Une manière originale de conserver un lien affectif avec le journal…
Contactés, Altice France, CMA CGM et Primonial n’ont pas répondu.
Les surprenantes confidences de Patrick Drahi aux huiles de BFM
« Je dis et je redis que je ne suis pas vendeur [de BFM]. Je ne veux pas vendre et je ne vais pas vendre. Les médias, c’est un petit pôle mais j’en suis très fier », assurait Patrick Drahi le 17 octobre devant les élus de SFR. Comme lui, le PDG d’Altice France Arthur Dreyfuss et le directeur général de BFM Marc-Olivier Fogiel se sont aussi livrés à d’innombrables démentis similaires depuis l’été dernier. Ils ont bien sûr été désavoués par les faits, mais aussi par… Patrick Drahi lui-même, à l’occasion d’une sorte de « pot de départ » organisé mardi 19 mars à BFM. Face aux dirigeants de la chaîne (Marc-Olivier Fogiel, Hervé Béroud…) et de quelques présentateurs (Apolline de Malherbe, Maxime Switek, Christophe Delay…), le dirigeant aurait confié qu’il avait décidé de vendre dès le mois de juillet 2023, juste après l’arrestation de son bras droit Armando Pereira.
Il aurait aussi raconté que le dossier BFM avait été étudié par Xavier Niel*, Daniel Kretinsky, François Pinault et Bernard Arnault. Le patron de LVMH aurait même déposé une offre attractive avant de la retirer finalement.
D’humeur apparemment bavarde, le patron d’Altice aurait ajouté avoir décidé dès juillet dernier de vendre la quasi-totalité de son groupe, avant d’être conforté dans cette idée en fin d’année : lors d’une réunion familiale, aucun de ses quatre enfants n’aurait exprimé la volonté de reprendre l’ensemble. Début septembre, le Monde avait confirmé ce dessein, indiquant que des mandats de vente avaient été confiés sur la quasi-totalité des actifs, hormis son opérateur israélien et la maison de vente aux enchères Sotheby’s.
Un tel projet explique sans doute la fuite en avant adoptée vis-à-vis des créanciers de SFR, jusqu’à présent invendable en raison de ses 24 milliards d’euros de dettes. La semaine dernière, les équipes de Patrick Drahi ont expliqué aux prêteurs qu’ils devaient renoncer à près d’un tiers de leurs créances, ce qui a été très très mal reçu. Les analystes de CreditSight (filiale de Fitch) ont ainsi jugé cette demande « odieuse » et « brutale », ajoutant que Patrick Drahi se fermait ainsi définitivement le marché de la dette.
Mais le natif de Casablanca semble avoir d’autres projets d’avenir. Mardi, il aurait exprimé le souhait de contribuer à apaiser le Proche Orient, grâce aux liens qu’il a noués aux Émirats arabes unis et en Arabie saoudite, faisant au passage l’éloge du prince héritier Mohammed ben Salmane, l’autocrate MBS. Il négocie actuellement la vente de ses activités portugaises à Saudi Telecom Co (STC), qui appartient au fonds souverain du royaume. *Actionnaire de l’Informé