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Continuer la lectureUne filiale de LVMH accusée d’avoir copié l’univers d’un parfumeur historique
Officine Universelle Buly, absorbée en 2021 par le leader mondial du luxe s’est inspiré d’une marque emblématique de la parfumerie française, LT Piver. Celle-ci crie au plagiat.

En cet après-midi de septembre, les touristes sont encore nombreux à se presser dans la boutique Officine Universelle Buly du 3e arrondissement de Paris. Américains, Japonais, Anglais… tous s’extasient devant cette échoppe tout en bois et marbre, aux faux airs de pharmacie d’époque, où, sans surprise, ils ne tardent pas à se photographier avec leurs emplettes. Ici, ils ne viennent pas chercher de simples parfums mais une « eau triple concombre d’inde et menthe de Syrie » ou un « trio odoriférant ». Ils ne s’attendent pas à trouver des cosmétiques standards mais du « lait virginal » ou une « eau ionisée hygiénique rectifiée ». Des articles devenus stars sur TikTok, où des bataillons d’influenceurs ont déjà partagé leur engouement pour ces produits de luxe monogrammés à la minute en boutique.
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Derrière cette success story à la française, on retrouve un couple star, Ramdane Touhami et Victoire de Taillac, connus pour avoir participé au grand retour de l’historique marque de bougie Cire Trudon. Ces deux-là ont lancé l’Officine Universelle Buly en 2013, flairant le potentiel d’un concept reprenant le nom et l’histoire de Jean-Vincent Bully, parfumeur installé à Paris au XIXe siècle. « Nous avons eu à cœur de redonner vie à une maison parisienne iconique, forte d’un imaginaire puissant et hors du commun », a eu l’occasion d’expliquer Victoire de Taillac. Très vite, ils attirent un partenaire de choix, LVMH. En 2017, le groupe de Bernard Arnault investit cinq millions d’euros dans l’enseigne… avant de racheter l’intégralité de la société en 2021 pour la coquette somme de 179 millions d’euros. Dans le giron du groupe, la petite marque se développe encore davantage : si Officine Universelle Buly perd encore de l’argent (806 000 euros en 2022 et 2,7 millions d’euros en 2023), elle compte maintenant une bonne trentaine de boutiques et autres corners à travers le monde, dont quatre à Paris.
Mais, selon nos informations, cette belle histoire est aujourd’hui sérieusement remise en cause par une petite parfumerie concurrente : LT Piver, qui n’hésite pas à dénoncer un « pillage éhonté ». Tout commence en 2022, lorsque Nelly Chenelat rachète cette illustre maison bicentenaire. La nouvelle propriétaire se plonge dans les archives de sa société et découvre de foisonnantes collections d’étiquettes de produits estampillés LT Piver. « Certains me semblaient familiers : je me suis rendu compte qu’ils ressemblaient beaucoup à certains produits de l’Officine Universelle Buly ».
Après avoir investigué, elle décide d’agir et adresse, fin 2023, une mise en demeure à la filiale de LVMH. Dénonçant un agissement parasitaire et des pratiques déloyales, la petite entreprise réclame 150 millions d’euros d’indemnisation, en réparation « du préjudice conséquent que l’absence d’investissements de Officine Universelle Buly dans la création de ses étiquettes, dans les noms de ses produits et dans les éléments de son marketing, lui a permis d’économiser ». En sus, LT Piver exige que toute commercialisation des produits litigieux cesse. Sauf, peut-être, à trouver un accord amiable. L’entreprise joint à la mise en demeure une longue lettre illustrée, dans laquelle elle développe ses griefs à l’encontre de la marque. S’y succèdent des comparaisons de typographies, de noms de produits ou encore d’étiquettes (voir exemple ci-dessous).

À ce courrier s’ajoute le rapport de Jean-Marie Martin-Hattemberg, spécialiste en art et patrimoine de la parfumerie missionné par LT Piver pour analyser la situation. Dans son exposé, consulté par l’Informé, l’expert se dit « surpris de constater » que les « éléments constituant l’identité des produits LT Piver soient aujourd’hui utilisés par l’Officine Universelle Buly 1803 pour promouvoir ses produits et légitimer son histoire ». C’est bien simple, selon le spécialiste, « sans la mémoire industrielle et commerciale de la parfumerie LT Piver, l’Officine Universelle Buly n’aurait pas pu voir le jour ». En parallèle, Nelly Chenelat adresse une lettre au président du comité d’éthique du groupe de luxe. Dans cette missive, elle explique qu’à travers l’exploitation de Buly, LVMH ne respecterait ni son code éthique qui impose notamment d’être « créatifs et innovants », ni sa charte de droit de la concurrence, qui indique les pratiques à proscrire telles que « l’imitation portant à confusion des produits ou services d’une entreprise concurrente ».
Des arguments tous balayés par Officine Universelle Buly, qui par voie d’avocat oppose en janvier puis en mai dernier une fin de non-recevoir aux demandes de Chenelat. D’abord, parce que les étiquettes invoquées sont désormais tombées dans le domaine public : « vos allégations ne reposent tout au plus que sur la prétendue reprise de visuels, d’archives, de noms de produits banals, appartenant au fonds commun de la parfumerie du XIXe siècle, et au demeurant non exploités par vos clientes, de sorte que leur prétendue reprise n’est en rien répréhensible ou déloyale », indique notamment la filiale. En outre, la marque rappelle que le parasitisme et les pratiques commerciales trompeuses sont soumis au régime de prescription de cinq ans. En ce sens, selon lui, puisque la société Officine Universelle Buly de Touhami et de Taillac a été créée en 2013, les demandes de LT Piver sont prescrites depuis 2018 et irrecevables. Et d’ajouter que la filiale de LVMH « vérifiera que l’activité à venir » de LT Piver « ne porte pas atteinte à ses droits ».

En mai dernier, l’avocat du géant du CAC adresse à son tour un courrier à LT Piver, accusant la société de tenter d’exercer sur le groupe et sa filiale « une pression illégitime » et de tenter « d’obtenir de [LVMH] des sommes d’argent parfaitement indues ». Interrogé par l’Informé, un proche du dossier, membre de l’entourage proche de LVMH, évoque une « affaire qui ressemble à une coquille vide », et un « procès infondé d’authenticité, entre une maison qui fonctionne bien et une entreprise qui fait du chantage ».
« Éthiquement, Buly vend une histoire fausse, en jouant sur la crédulité des clients », persiste la patrone de LT Piver. Mais qu’en est-il, en réalité ? L’Informé a demandé leur avis à deux experts reconnus de la parfumerie, qui ont accepté de partager leur analyse sous couvert d’anonymat, de peur de se mettre à dos le géant du luxe. Tous deux évoquent l’historique de Piver comme celui d’une « parfumerie de luxe très raffinée, qui parfumait les rois et empereurs de l’époque ». Quant à Buly, les deux professionnels sont formels : la maison fondée en 1803, qui s’appelait alors Bully avec deux « l », n’a pas vraiment laissé sa trace dans l’univers de la parfumerie. « D’un côté, vous avez une maison de haute parfumerie du XVIIIe siècle, LT Piver, et d’un autre côté une création de toutes pièces, avec l’Officine Universelle Buly. Un travail esthétique a été fait, mais sans réel fondement historique », estime notre premier expert. « C’est assez courant dans la parfumerie : on raconte beaucoup d’histoires », s’amuse sa consœur.

Mais quid des ressemblances ? « C’est évident qu’il y a copiage, c’est bien plus que de l’inspiration », tranche notre professionnelle après avoir examiné les étiquettes litigieuses. « Certes Ramdane Touhami cite plusieurs fois Piver dans ses inspirations, donc le plagiat n’est pas total, mais ils se sont quand même clairement plus qu’inspirés. » En effet, dans son ouvrage Beauty of time travel, le créateur de l’Officine universelle Buly retrace le cheminement artistique qu’il a suivi et cite à plusieurs reprises LT Piver. Dans tous les cas, l’experte ne croit pas à un quelconque gain de la société dans l’affaire : « C’est David contre Goliath, et dans ce cas précis, David est insuffisamment armé. » À défaut de gagner, Chenelat lancera en octobre une gamme de produits à partir des archives de sa marque.
Contacté, le groupe LVMH n’a pas souhaité commenter l’affaire. Ramdane Touhami nous a pour sa part renvoyés vers LVMH, indiquant ne pas être « au courant de cette histoire ».