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Continuer la lectureEric Trappier sera bien le futur président du Groupe Dassault
Charles Edelstenne, à la tête de la holding familiale des Dassault depuis 2018, se trouve contraint de passer la main avant ses 87 ans. Les héritiers de Serge Dassault ont tranché sur son successeur.

Dans un communiqué daté du 7 février, le Groupe industriel Marcel Dassault (GIMD) a officialisé la nomination d’Eric Trappier comme nouveau président, tout en conservant ses fonctions de PDG de Dassault Aviation, le constructeur des Rafale et des jets Falcon. Il succédera le 9 janvier 2025 à Charles Edelstenne, qui conserve donc son mandat jusqu’à ses 87 ans, limite d’âge prévue dans les statuts de la holding familiale. Ce dernier prendra alors les fonctions de président d’honneur de GIMD. Bernard Charlès, le dirigeant de Dassault Systèmes, qui rapportait directement à Charles Edelstenne, ne sera pas placé sous la responsabilité de son successeur, Eric Trappier. « Il rapportera directement au conseil de surveillance du groupe », où siègent les héritiers de Serge Dassault, indique le communiqué de GIMD.
« Il y a eu des candidats venus de l’extérieur, il y a eu de longs débats au sein de la famille, et finalement nous avons décidé de choisir celui qui porte la plus grande réussite au sein du groupe. C’est la meilleure solution », confie, rassuré, un membre de la famille Dassault. Malgré des désaccords persistants, les différentes branches du clan se sont finalement accordées pour porter Eric Trappier, PDG depuis 2013 de Dassault Aviation, à la présidence du Groupe industriel Marcel Dassault (GIMD). Une réunion du conseil de surveillance de cette holding familiale, qui pèse près de 15 milliards d’euros de chiffre d’affaires dans des secteurs aussi sensibles que l’aviation militaire (Dassault Aviation), les radars et la sécurité (Thales, détenu à 25 %), doit entériner le choix d’ici l’été.
Il était temps car le détenteur du poste, Charles Edelstenne, âgé de 86 ans, doit quitter ses fonctions en janvier 2025. Il avait déjà obtenu, en 2022, que la limite d’âge pour le poste soit repoussée à 87 ans. Car l’ancien expert-comptable, entré en 1962 chez Dassault Aviation, pour en devenir le PDG en 2000 quand Serge Dassault fut lui-même touché par la limite d’âge, souhaitait retarder le plus possible l’échéance. « Dassault, c’est toute sa vie : il a développé Dassault Aviation et fondé Dassault Systèmes en 1981 qui est devenu un magnifique succès, mondialement reconnu, écrit un bon connaisseur du groupe. Charles Edelstenne s’est levé chaque matin à 6h pour être au boulot à partir de 7h. Alors aujourd’hui, il est comme la comtesse du Barry qui monte sur l’échafaud et se tourne vers le bourreau pour lui demander : « Encore une minute, monsieur le bourreau ». Il ne sait pas lâcher la barre. »
Denis Kessler, président jusqu’à son décès en 2023 du Comité des Sages, l’instance créée par Serge Dassault pour conseiller la famille sur les sujets d’importance stratégique, n’avait pas su s’opposer à la modification des statuts. « Nommé par Charles Edelstenne, il en était très proche et le suivait dans tout ce qu’il décidait », soupire un intime de la famille. Depuis juillet dernier, l’ex-PDG de Veolia et d’EDF Henri Proglio a pris la présidence du Comité des sages, dont il est membre depuis sa création en 2008.
Face à l’échéance inéluctable, Charles Edelstenne a tout tenté pour conserver le pouvoir. Au point d’agacer les héritiers de son mentor qui n’étaient d’accord que sur un point, sortir de son emprise. Un nouveau report de la limite d’âge a été tenté, mais écarté. Il a aussi poussé l’idée qu’un trio lui succède. La holding familiale aurait eu à sa tête une présidence tournante avec Eric Trappier, Bernard Charlès, le président de Dassault Systèmes, et Olivier Costa de Beauregard, un proche d’Edelstenne, haut fonctionnaire devenu dirigeant de GIMD et de la foncière cotée Immobilière Dassault.
Cette option a longtemps occupé les débats, avant d’être également abandonnée. « Un trio n’avait pour seul avantage que de laisser Charles Edelstenne garder la main, juge un dirigeant. GIMD a des actifs importants à gérer, il doit être incarné et dirigé ! Cela n’avait pas de sens. » La possibilité de faire venir un patron de l’extérieur a aussi été envisagée un moment. Stéphane Richard, ex-directeur de cabinet de Christine Lagarde à Bercy et ancien PDG d’Orange, a longtemps visé le poste et rencontré plusieurs figures du groupe. Mais la candidature de celui qui est aujourd’hui associé de la banque d’affaires Perella Weinberg n’a pas été retenue.

À force, le temps pressait. « Il y a eu la crainte dans les sphères dirigeantes de Dassault que l’État, ne voyant aucune solution émerger depuis deux ans, juge que c’était l’occasion rêvée pour pousser un homme à lui », confie un proche de la famille. Les héritiers de Serge Dassault se sont alors tournés vers une solution interne. Bernard Charlès, artisan du succès de Dassault Systèmes, a espéré le poste sans officialiser sa candidature, mais c’est Eric Trappier qui sera choisi. « Il connaît bien la maison, où il est entré en 1984. Mais il connaît aussi parfaitement la famille, son histoire, indique un proche. Et surtout, il est âgé de 64 ans aujourd’hui : cela veut dire qu’il sera pour 20 ans au côté de la famille, et notamment pour organiser la transmission à la ‘4G’ [la quatrième génération], qui a déjà commencé. »
Eric Trappier maîtrise surtout le cœur du réacteur de la galaxie Dassault : les avions. Le groupe s’est certes développé sur de nouveaux marchés - les logiciels industriels avec Dassault Systèmes, les médias avec Le Figaro, l’art avec Artcurial, le vin avec Château Dassault et l’immobilier - mais le carburant premier reste les jets d’affaire Falcon et surtout les Rafale, vecteurs de la dissuasion nucléaire française et désormais succès à l’export. « Eric Trappier a formidablement réussi, justifie un dirigeant du groupe. Il a vraiment pris la mesure du poste en succédant à Edelstenne, auquel il voue une vénération sans borne. Ses réseaux sont très importants. Il connaît sur le bout des doigts la sphère politico-militaire française », et le fonctionnement de la Direction générale de l’armement au ministère des armées. Il faisait partie de la délégation qui a accompagné Emmanuel Macron dans sa visite officielle en Inde fin janvier. Les négociations portant sur la vente de 26 Rafale supplémentaires à New Delhi sont toujours en cours.
Dassault : une gouvernance à toute épreuve
Les relations entre les Dassault n’ont jamais été simples. Après avoir connu des rapports compliqués avec son père Marcel, le fondateur du groupe, et reproduit les mêmes difficultés avec ses enfants, Serge Dassault a mis en place, en 2008, une gouvernance à l’épreuve des crises familiales. Les accrocs entre ses héritiers, Laurent Dassault, Thierry Dassault, Marie-Hélène Habert-Dassault et Olivier, décédé en 2021 et dont le fauteuil au conseil de surveillance est depuis occupé par sa fille Héléna, l’ont conduit à créer un comité des sages. Il est chargé de conseiller le clan dans les grands choix stratégiques pour le groupe, de trancher les différends sur les investissements et les nominations. Il fut à la manœuvre pour porter, après le décès de Serge Dassault en 2018, Charles Edelstenne à la présidence de la holding familiale, Groupe industriel Marcel Dassault. Et aujourd’hui pour lui trouver un successeur. Composé de hauts fonctionnaires et de capitaines d’industrie, ce comité était au départ présidé par Denis Kessler, ancien numéro 2 du Medef et président du réassureur Scor. Il a été remplacé, à son décès l’été dernier, par Henri Proglio, ex-pdg d’EDF et de Veolia. L’ancien ministre du budget Alain Lambert y siège, de même que Stève Gentili, ancien président de la Bred, l’ex-préfet de police de Paris, Pierre Mutz, et l’actuelle présidente du conseil d’administration d’Air France-KLM, Anne-Marie Couderc.
Article actualisé samedi 3 février à 12h30 : plusieurs sources nous ont confirmé qu’il n’y a plus de doute sur le choix de Eric Trappier comme président de GIMD.