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Continuer la lectureLes méthodes très limites d’Emma, le leader du matelas en ligne
Le spécialiste du « bed in box » est accusé de promotions trompeuses en France et au Royaume-Uni : les réductions affichées n’en sont pas vraiment, de faux comptes à rebours pressent à l’achat... Et ce ne sont pas les seules pratiques qui lui sont reprochées.

« Jusqu’à -50 %. Fin des promos de la rentrée dans 0 jour 14 heures et 2 minutes ». En ce lundi 25 septembre, sur le site du vendeur de matelas Emma, impossible de passer à côté du décompte : il indique, en direct, le peu de temps qu’il reste pour profiter de la super promotion. Mais, le lendemain, surprise : la « promo de la rentrée » a laissé la place à une autre opération, les « Emma days ». Malgré l’expiration du chrono, plusieurs des références vedette restent proposées à un prix quasi inchangé. Bref, une promotion chasse l’autre, l’important est de toujours laisser croire à l’internaute qu’il y a urgence à acheter. L’artifice est rudimentaire… Mais pas franchement réglementaire.
Fondée en Allemagne en 2015, Emma est le fer de lance des nouveaux acteurs de la literie. Ces jeunes pousses du web bousculent les distributeurs traditionnels grâce à une offre simplifiée (peu de références, censées convenir à tous), une période d’essai sans engagement de 100 jours ou plus, et une logistique repensée : les matelas sont livrés compressés et roulés dans un carton – d’où le nom de ce nouveau créneau, le « bed in box » (matelas dans une boîte). Leader en France, Emma prévoit d’atteindre un milliard d’euros de chiffre d’affaires dans le monde en 2023. Mais elle commence à être rattrapée par ses multiples entorses aux droits des consommateurs.
En France, c’est un concurrent, Tediber, qui les lui a reprochées devant la justice. Avec succès. L’Informé a pu consulter une décision récente du tribunal de commerce de Paris. Il condamne Emma à payer 500 000 € à son rival, en réparation pour ses méthodes de promotions trompeuses. Contactés, aucun des deux protagonistes n’a souhaité commenter la procédure, qui fera l’objet d’un second procès, Emma ayant fait appel.
Le tribunal a ordonné à la société allemande de « cesser d’attirer les consommateurs en leur faisant croire que les codes promotionnels leur offrent un avantage tarifaire alors qu’ils sont proposés de manière successive et quasi permanente ». Il s’est aussi attardé sur la méthode du faux compte à rebours : Emma utiliserait des décomptes dont les dates « sont réinitialisées quand l’internaute efface son historique de visite du site », selon des pièces fournies au tribunal.
L’affaire met aussi en lumière un autre stratagème destiné à attirer les clients : le comparateur biaisé. Créé par une filiale d’Emma, le site top5meilleurmatelas.fr est souvent bien placé sur Google grâce aux liens sponsorisés. Il référence les principaux acteurs du « bed in box »… Mais attribue les meilleures notes aux matelas Emma, sa maison mère donc. Il faut dire que les critères exacts de classement des offres y sont très flous… et pas toujours consultables !
Dans son jugement, le tribunal de commerce de Paris note que la page de méthodologie du site « n’est pas accessible à l’internaute car indiquant toujours la mention “erreur 404” ». Cette opacité est une pratique déloyale, ont estimé les juges, qui ont ajouté 20 000 € aux dommages et intérêts à verser à Tediber.
Emma n’a, certes, pas l’exclusivité des dérapages. D’autres comparateurs faussés existent (voir encadré en fin d’article). Et des vendeurs de literie (traditionnels ou en ligne) sont régulièrement épinglés par les services de la répression des fraudes et les associations de consommateurs pour des rabais trompeurs.
Mais la société allemande en pleine expansion ne peut plus espérer passer sous les radars. Au Royaume-Uni, l’autorité des marchés et de la concurrence (Competition and Markets Authority) la menace d’un procès, là aussi pour des réductions faussement présentées comme temporaires et des faux comptes à rebours. Ces méthodes « risquent de pousser les gens à faire des achats trop rapides et souvent à dépenser davantage d’argent qu’ils ne le feraient autrement », critiquait l’organisme officiel en juillet 2023.
Pour ne rien arranger, en France, Emma s’est attiré les foudres de l’association de consommateurs UFC-Que Choisir. Fait rarissime, cette dernière a décidé d’exclure la marque de ses comparatifs jusqu’à nouvel ordre. Rien à voir avec la qualité de ses matelas, bien au contraire. Ils sont arrivés à plusieurs reprises en tête des tests. Mais l’association se dit « excédée » par les déficiences du service client de la marque, que les consommateurs lui remontent : retards de livraison, de remboursement… La décision date du printemps dernier. « Depuis, le flux de plaintes ne s’est pas tari. Il s’accélère même ! Les pratiques commerciales de cette marque ne sont vraiment pas à la hauteur de la qualité de ses matelas », tranche Elisabeth Chesnais, en charge de ce sujet au sein du magazine de l’association.
La marque avait d’ailleurs fait de ses bonnes notes dans les comparatifs de Que Choisir un argument publicitaire, utilisant pour cela le logo de l’association. L’UFC-Que Choisir, qui le permet d’habitude dans des conditions très strictes, lui a désormais interdit de continuer. La marque a obtempéré… À sa façon ! Son modèle « Hybride II » reste présenté comme le « meilleur matelas testé en France en 2023 [selon] une des plus grandes associations de consommateurs française ».
Un autre comparateur biaisé, celui de Tediber
Effet boomerang pour l’autre start-up du « bed-in-box », Tediber. A l’origine des poursuites contre Emma, la société créée à Tourcoing a également été condamnée par le tribunal de commerce de Paris. Elle devra elle aussi verser 20 000 € à son concurrent, pour son propre comparateur, jaimedormir.com. Sous des airs de sites de comparaison objectif, il donne l’avantage aux matelas Tediber.
Pour les juges, il s’agit depratiques commerciales déloyales : jaimedormir.com n’indiquait nulle part ces liens avec Tediber jusque début 2022 (l’information figure désormais dans un bandeau en page d’accueil), et le site prétend « tester » les matelas, alors qu’il « ne procède qu’à des compilations d’avis de consommateurs et/ou d’avis d’autres sites Internet ».