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Continuer la lectureLe tuba de Decathlon a bien causé la noyade mortelle d’une mère de famille
La justice a reconnu la responsabilité de l’enseigne de la galaxie Mulliez dans la mort d'une femme suisse au bord de la mer Rouge après une séance de snorkeling. Elle était équipée d’un kit fabriqué par Decathlon, qui avait déjà fait l’objet de signalements avant le drame.

Pour cette famille suisse, c’est la fin d’un long combat contre Decathlon. Dix ans après des vacances qui ont viré au drame, la justice vient de reconnaître définitivement la responsabilité de la société dans la mort de leur épouse et mère. C’est en effet l’enseigne préférée des Français qui a fabriqué et commercialisé le tuba défectueux à l’origine de sa noyade, alors qu’elle pratiquait du snorkeling sur les bords d’une plage égyptienne avec son mari. Depuis, ce tragique accident faisait l’objet d’un bras de fer devant les tribunaux. Le mari de la défunte et ses trois enfants ont même été jusqu’en cassation pour obtenir gain de cause. C’est chose faite. La cour d’appel de Paris a mis un terme à ce sinueux parcours judiciaire le 15 mai, en condamnant la société Decathlon et son assureur à indemniser le préjudice moral qu’ils ont subi. La juridiction a jugé que le produit incriminé « n’offrait pas la sécurité à laquelle on pouvait légitimement s’attendre ». Une dangerosité qui avait déjà fait l’objet de signalements auprès de l’enseigne avant le drame.
Celui-ci a eu lieu en 2015, aux abords d’un hôtel donnant sur la mer Rouge dans la ville de Marsa Alam, en Égypte, célèbre pour ses plages de sable, ses récifs de corail et ses tortues de mer. Pour profiter de ce décor idyllique, le couple avait décidé avant de partir de renouveler son vieil équipement de plongée, en faisant l’acquisition chez Decathlon d’un kit de palmes, masque et tuba nommé « R’Gomoove ». Une fois sur place, ils s’arment donc de leur matériel pour observer les fonds sous-marins, un vendredi en fin d’après-midi. Mais après quelques minutes de snorkeling, sur les coups de 17 h 15, selon les « déclarations constantes » du mari auprès de la police puis de la justice, son épouse lui fait signe qu’il y a un problème. Il l’aide alors à remonter à la surface, et elle lui dit avoir aspiré énormément d’eau et avoir une grande difficulté à respirer. L’homme parvient à la raccompagner sur la rive en la soutenant par le bras, et l’installe sur une chaise longue avant d’appeler à l’aide. Aussitôt, le souffle de la mère de famille devient de plus en plus bruyant, son visage prend une couleur bleutée et de l’écume se met à sortir de sa bouche. Le plagiste accourt pour tenter de réanimer la victime, épaulé par un touriste, puis par le médecin venu la secourir. Malgré cette mobilisation, la mère de famille décède sur le sable quelques minutes plus tard.
L’enquête de la police égyptienne et le rapport médico-légal produit immédiatement après les faits concluent à une mort accidentelle, qui résulte d’une « asphyxie à la suite d’une noyade ayant causé l’arrêt de toutes les fonctions vitales du corps et du cœur ». Très vite, ses proches ont le sentiment que l’équipement de snorkeling qu’elle portait est en cause. En faisant des recherches, la famille tombe sur de très nombreux avis d’utilisateurs se plaignant sur le site internet de Decathlon du manque d’étanchéité du tuba. Ils découvrent aussi que la société elle-même reconnaît le problème en indiquant en réponse à ces avis négatifs que de l’eau de mer peut y pénétrer lorsque la valve est en contact avec des petits grains de sable. Convaincus que ce défaut explique nécessairement l’absorption « en toute confiance » d’une grande quantité de liquide dans les poumons de la défunte, son mari et ses enfants ont assigné Decathlon devant le tribunal de grande instance de Paris, aux côtés de la société d’assurance suisse de la chaîne.
Commence alors un véritable marathon judiciaire, ponctué de différentes décisions. En première instance, les juges déclarent Decathlon responsable de la mort de la mère de famille, en sa qualité de producteur du tuba défectueux. La société fait appel, et ce jugement est finalement infirmé. Dans un arrêt du 3 février 2022, la cour d’appel de Paris considère que la famille ne rapporte pas la preuve formelle que la femme était équipée du tuba au moment de l’accident. Mais ses proches tiennent bon, et forment un pourvoi en cassation. Le 18 octobre 2023, la plus haute juridiction du pays casse le précédent arrêt, au motif que la cour d’appel a fait une erreur de droit : dans sa défense, la société Decathlon elle-même n’avait pas remis en cause l’utilisation de l’objet incriminé, se bornant à contester son caractère défectueux et son rôle causal dans l’accident.
« Des indices suffisamment graves » selon les juges
Le dossier est donc récemment revenu devant la cour d’appel de Paris, confié à des juges différents, qui ont considéré comme acquis que la mère de famille utilisait bien le tuba lors du drame. Mais Decathlon a soulevé d’autres arguments pour écarter sa responsabilité, allant jusqu’à mettre en doute que la mère de famille soit morte noyée. En s’appuyant sur des rapports de médecins produits pour sa défense, la société a tenté de formuler différentes hypothèses : une origine cardiaque, un lien avec le diabète dont souffrait la mère de famille, voire une peur panique face à un requin… Des théories qui ne reposent sur « aucun élément médical », selon la cour d’appel, d’autant que le rapport d’autopsie n’a pas mis en évidence de pathologie susceptible d’expliquer le malaise ou la mort de la victime. Aux yeux de la justice, la noyade ne fait donc plus de doute.
Quant à la défectuosité du tuba, la cour d’appel retient qu’il ressort des nombreux avis laissés sur la page web de Decathlon que le tuba du kit « R’Gomoove » laissait passer l’eau. La juridiction rappelle que l’enseigne avait d’ailleurs répondu à ces critiques « en évoquant parfois un éventuel problème d’assemblage dans leur usine italienne et en invitant d’autres fois à vérifier que la valve du tuba était bien à plat, car il arrive qu’un peu de sable ou de poussière se glisse dessous et l’empêche d’être (...) étanche ». Des conseils que le couple ne pouvait qu’ignorer à l’époque : la cour d’appel note en effet que lorsqu’ils l’ont acheté, « la présentation du produit litigieux ne mentionnait ni le risque que de l’eau puisse entrer dans le tuba lors des sorties snorkeling, ni le risque que du sable ou du sel se coince (...) empêchant alors la valve d’assurer son rôle d’étanchéité, ni la nécessité de bien rincer le tuba à l’eau claire et de s’assurer que la valve était bien à plat ». Et Decathlon, qui a tenté de balayer de « simples déclarations » de la part de « prétendus clients », ne produit « aucun élément technique permettant de les contredire », selon les juges. Ils concluent donc qu’il existe « des indices suffisamment graves, précis et concordants permettant d’établir que le tuba défectueux est à l’origine du décès » de la mère de famille.
Malgré les mises en garde, l’enseigne a continué de commercialiser le produit durant des années. La décision de justice indique que ce modèle de tuba a été retiré de la vente en 2019. Mais un kit de snorkeling portant le même nom, « R’Gomoove », issu de la gamme maison Subea (ex-Tribord) à l’origine du célèbre masque Easybreath, est toujours disponible à l’achat sur le site internet de Decathlon et en retrait en magasin. Il semble présenter les mêmes caractéristiques, mis à part le design. S’agit-il du même produit, et si oui, la marque a-t-elle modifié sa fabrication pour corriger le défaut ? L’enseigne refuse de répondre précisément, se contentant d’indiquer que « l’ensemble des produits proposés par Decathlon à ses clients ou utilisateurs, y compris le R’Gomoove, sont conformes à toutes les lois et réglementations applicables et peuvent donc, à ce titre, être légitimement mis sur le marché ».
Quoi qu’il en soit, les utilisateurs font état de critiques similaires à celles portant sur le tuba ayant causé la noyade de la mère de famille. « Les palmes sont OK, le masque un peu petit, mais c’est le tuba, impossible de respirer, on aspire de l’eau ! », s’offusque par exemple un « acheteur vérifié » en décembre 2024. En réponse à cette évaluation, la marque écrit, sous la signature de son chef de produits : « Je vous invite à vérifier si la valve d’évacuation en silicone qui se situe sous le tuba est bien positionnée à plat. Si ce n’est pas le cas, elle ne joue pas son rôle d’étanchéité. » Sollicité par l’Informé, Decathlon a indiqué que la société ne commentait pas les décisions de justice.