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Continuer la lectureLa maison Poilâne sort du pétrin
Le groupe de boulangerie artisanale a obtenu la validation d’un plan de sauvegarde. Et prévoit des diversifications dans le snacking et le surgelé.

C’est une maison mythique qui revient de loin. Plombée par une concurrence dévorante et empêtrée dans les difficultés financières, la boulangerie Poilâne, célèbre pour son pain au levain, s’était placée sous procédure de sauvegarde fin 2022. Mais après une période d’incertitude, elle semble avoir trouvé la recette d’un retour gagnant : le tribunal de commerce de Paris vient de valider son plan de sauvegarde, comme l’a appris l’Informé. Sur le plan financier tout d’abord, la société s’est donné un peu d’air : elle a obtenu l’abandon de certaines créances et l’étalement des dettes restantes, sur 5 ans pour les sommes dues à la Société Générale (qui abandonne 27 % du 1,145 million d’euros exigible), et sur 6 ans pour ses ardoises fiscales et sociales (effacées en partie, passant de 2,4 à 1,9 million).
Sur le plan commercial, la maison Poilâne, qui réalise un quart de ses ventes dans son réseau de 5 boulangeries parisiennes et le reste via les grandes surfaces (Monoprix, Carrefour) et restaurants table sur un chiffre d’affaires en légère progression, à 13 millions en 2031, contre 11,5 millions aujourd’hui. Avec une priorité, s’adapter autant que possible à un marché mouvant : « La boulangerie est une activité en pleine transformation : on ne consomme plus les mêmes choses et plus de la même façon. On mange de plus en plus sur le pouce, c’est donc l’opportunité de manger une belle tartine de pain, un bon sandwich, et en même temps (…) le pain prend une part moins importante » constatait récemment dans les colonnes du JDD Apollonia Poilâne, qui a repris l’entreprise familiale il y a vingt ans, après la disparition de ses parents dans un accident d’hélicoptère.
Plusieurs pistes de diversifications sont donc explorées. D’abord, développer une offre de snacking, un segment à forte valeur ajoutée. « Elle arrive avec 10 ans de retard, mais c’est jouable si c’est fait rapidement et de façon différente » juge Bernard Boutboul, expert du secteur de la restauration et fondateur du cabinet Gira. Cette nouvelle gamme n’engendrerait pas d’investissements « car la fabrication serait sous-traitée, et des négociations sont en cours avec deux fournisseurs pour une redistribution dans les cafés, hôtels et restaurants » selon l’entreprise. Ce n’est pas tout. Elle planche aussi sur la distribution de pains surgelés, pour toucher des clients – et territoires- mal desservis. En parallèle, un travail mené avec un bureau d’études vise à prolonger la durée de vie des produits, une gageure compte tenu de la composition très simple des pains. Au-delà du potentiel commercial, ce projet permettrait de réorganiser la logistique en réduisant le nombre de tournées de livraison et le recours au travail de nuit dans la manufacture Poilâne à Bièvres, dans l’Essonne. Car à part le pétrin, mécanique, le reste des opérations se fait à la main et accapare une armée de boulangers, qui représentent 60 des 130 salariés. À eux de façonner la miche référence de la maison (5000 unités par jour), mais aussi des pains aux noix, au seigle, du pain de mie, des pâtisseries et viennoiseries.
Une maîtrise impérative du niveau de charges
Un lifting marketing devra sans doute, aussi, être opéré par l’entreprise, qui n’a pas répondu à nos questions. « Poilâne n’a pas pris le virage des réseaux sociaux, et s’est fait piquer la place par des concurrents comme Landemaine, Kayser, Liberté ou Christophe Michalak, des marques plus sexy, instagrammables, avec un sens de la mise en scène tranche Bernard Boutboul. Les plus de 45 ans connaissent Poilâne. Mais si l’on interroge les 25-35 ans, qui sont les clients de demain, ils vont vous demander de qui il s’agit ! »
Reste que tout ce travail ne pourra se faire sans une chasse aux coûts drastique. Depuis 2019 l’entreprise a connu de lourdes pertes d’exploitation atteignant jusqu’à 2 millions par an, et même un déficit net de 2,5 millions d’euros sur l’exercice 2022-2023, clos en mars dernier. Des initiatives ont pourtant été prises : en 2020, l’immeuble détenu rue du Cherche Midi (adresse mythique du 6e arrondissement ou Pierre Poilâne a ouvert en 1932 sa première boulangerie, toujours présente) a été cédé via une opération intragroupe qui a permis d’apporter de l’argent frais dans les caisses et financer une partie des investissements. Mais il faut encore réduire le niveau de charges trop élevé par rapport à l’activité. Citons les factures d’énergie qui ont explosé ces dernières années, que ce soit pour l’électricité ou le bois nécessaire à la cuisson du pain dans des fours en briques réfractaires, la marque de fabrique. Le rééchelonnement des dettes, la baisse de la masse salariale entamée depuis quelques mois, et les mesures de réorganisation doivent vite redonner des marges de manœuvre à la maison Poilâne. Qui, si tout va bien, verra la fin du plan de sauvegarde coïncider avec le centenaire de sa création.