L'abonnement à l'Informé est à usage individuel
Un autre appareil utilise actuellement votre compte
Continuer la lectureL’intense lobbying de Shein pour améliorer son image
Débauchage d’anciens ministres, actions caritatives… le géant chinois de la fast fashion multiplie les actions pour redorer son blason en France. Et éviter des lois qui pénaliseraient son business.

Le samedi 13 janvier 2024, le showroom parisien de Shein était le théâtre d’un grand goûter : des dizaines d’enfants et d’adolescents s’affairaient autour de friandises, de boissons, de vêtements, et de jeux dont une roue de la fortune qui permettait de gagner, avec un peu de chance, des cartes cadeaux de 100 euros… À dépenser chez l’e-commerçant d’origine chinoise évidemment. L’évènement était organisé par Shein France en tant que partenaire de l’association Princesse Margot, qui accompagne et aide les enfants atteints de cancer et leurs familles. Une cause noble qui s’inscrit dans la vaste entreprise de lobbying que mène le groupe en France, qui serait devenu en 2024 le premier vendeur de vêtements de l’Hexagone, devant Kiabi ou Zara. Objectif : redorer une image passablement écornée.
Shein possède une société en France depuis 2022, qui gère les missions administratives et de représentation, et s’est inscrite auprès de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique en mars 2024 comme la loi l’oblige pour tout acteur qui contacte « un responsable public pour influer sur une décision publique ». Ce qui implique désormais de montrer patte blanche sur ses actions de lobbying. Le goûter organisé pour l’association Princesse Margot, qui était aussi l’occasion d’inviter des élus et représentants de collectivités territoriales, fait ainsi partie des 7 évènements déclarés l’an dernier (contre un seul en 2023), pour un coût estimé par l’entreprise elle-même dans une fourchette allant de 100 000 à 200 000 euros auprès de la HATVP. Cette liste regroupe à la fois des actions de bienfaisance (comme des invitations à un dîner de soutien à une association pour la réinsertion des femmes dans le monde du travail), un événement destiné à vanter l’ancrage local de Shein (présentation de la Creative House, son atelier de création parisien) et des rendez-vous plus terre à terre avec des conseillers de l’Élysée, des députés, sénateurs et fonctionnaires pour présenter ses activités mais aussi discuter réglementation, le nerf de la guerre. Shein a notamment discuté sur les modalités d’application d’une directive européenne en matière d’accessibilité aux personnes malvoyantes des sites d’e-commerce, ou défendu ses positions sur la réglementation de l’impact environnemental de l’industrie textile. Le roi de la fast fashion a aussi participé à la concertation gouvernementale sur l’affichage environnemental du textile en rencontrant le Commissariat général au développement durable et en assistant à des webinaires qu’il organisait.
Les opérations de com’ de Shein peuvent parfois être critiquées pour leur cynisme. Ainsi, alors que l’entreprise a noué un partenariat avec Princesse Margot, elle est régulièrement épinglée pour ses vêtements, pas toujours dans les clous en matière de respect des normes de santé. En mai 2024, des phtalates avaient été détectés en Corée du Sud dans des tenues de la marque. Ces composants, qui présentent des risques sanitaires pouvant causer obésité, maladies cardiaques, cancers et problèmes de fertilité avaient été identifiés dans des quantités largement supérieures aux limites légales. Au même moment, le magazine allemand de défense des consommateurs Öko-Test avait retrouvé des substances nocives dans les deux tiers des produits pour enfants et bébés qu’il avait analysés. Certains contenaient des éléments interdits ou dépassant largement les normes de l’Union européenne. Idem pour le site belge Testachats : sur 25 vêtements et chaussures pour bambins testés 10 contenaient au moins une substance dangereuse. Plusieurs fédérations du textile ont aussi attaqué Shein sur les conditions de production de ses vêtements, leur qualité et de leur impact environnemental.
Face à de tels vents contraires, l’e-commerçant a mis les bouchées doubles en décembre 2024 en recrutant l’ancien ministre de l’intérieur Christophe Castaner, l’ancienne secrétaire d’État chargée de l’aide aux victimes Nicole Guedj, et l’ex-président de la fédération française des sociétés d’assurances Bernard Spitz au sein d’un comité spécial. Le rôle très officiel de ces personnalités, au carnet d’adresses bien rempli ? Conseiller le groupe en matière de responsabilité sociétale des entreprises (RSE).
« Shein a commencé à faire du lobbying au printemps dernier, suite à l’adoption de la proposition de loi anti fast fashion à l’Assemblée », analyse le député Antoine Vermorel-Marques auprès de l’Informé. Auteur en 2024 d’une proposition de loi visant à instaurer un malus financier sur les produits issus de la fast-fashion, ce dernier n’est pas vraiment un défenseur de l’entreprise. « Ils ont accéléré car ils ont compris qu’il y avait des intérêts à défendre. Depuis, ils ont étoffé leurs équipes, par exemple en embauchant Christophe Castaner. Et de ce que je sais, il a envoyé beaucoup de SMS récemment, et pas vraiment pour parler de RSE ». Sur ce point, l’ancien ministre de l’Intérieur, contacté par l’Informé, nous a répondu qu’il avait trop de respect pour la fonction « pour imaginer un député lancer des rumeurs ».
Et la bataille de communication s’intensifie. Le 15 mars, dans une interview accordée au Journal du Dimanche, Donald Tang, président exécutif du géant asiatique, indiquait que « Shein n’est pas une entreprise de fast-fashion. » Car ce modèle « impose aux consommateurs les tendances définies par les marques, avec une production de masse. Notre modèle repose sur la production à la demande : nous fabriquons ce que les clients veulent porter ».
Le timing de cette interview n’est pas le fruit du hasard. Car une autre proposition de loi, baptisée loi anti fast fashion, fait son chemin. Validée par l’Assemblée nationale l’an dernier, elle pourrait être examinée au Sénat la semaine du 19 mai, après un premier report qui avait soulevé beaucoup d’interrogations. Le texte devrait notamment cibler les géants chinois Shein et Temu, en définissant le concept de fast fashion. Avec à la clé des malus financiers pour les entreprises textiles peu vertueuses.