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Continuer la lectureUn nouveau décret sacrifie la forêt tropicale guyanaise
La déforestation destinée à produire des biocarburants et de la biomasse est désormais possible.

Avant d’aller réveillonner en Guyane, le 31 décembre, Élisabeth Borne a aussi fait un cadeau empoisonné à la collectivité locale. Son gouvernement a discrètement publié le 28 décembre 2023 un décret très décrié sur l’utilisation de la biomasse en Guyane et à la Réunion. Ces deux territoires bénéficieront désormais d’exemptions à la directive européenne Red III, venue encadrer le recours au végétal en tant qu’énergie. Il sera donc possible de déforester pour planter du soja ou de la canne à sucre dans le but de produire des agrocarburants, comme le biodiesel, et de récupérer les déchets pour fabriquer de l’électricité. Les opérateurs pourront, en outre, bénéficier des aides destinées aux énergies renouvelables.
« On dénonce ce que Bolsonaro a fait au Brésil en déforestant la forêt amazonienne pour planter du soja… Mais avec ce décret on s’apprête à faire exactement la même chose ! » s’offusque Marine Calmet, de l’ONG Maiouri Nature Guyane.
L’organisation bataillait depuis de longs mois contre le projet de décret, réclamé par ailleurs par des industriels comme Voltalia, à la tête de plusieurs centrales en Guyane, mais aussi Albioma et EDF, opérateurs de centrales thermiques fonctionnant à la biomasse à la Réunion.
Des exemptions concernant la forêt et le climat
Les garde-fous établis par le code de l’environnement pour protéger la forêt française, comme la garantie de « régénération effective de la forêt » , de « préservation de la qualité des sols et de la biodiversité » ou encore « le maintien ou l’amélioration de la capacité de production à long terme de la forêt » ne s’appliqueront plus sur ces deux territoires d’outre mer, alors que la Guyane accueille la seule forêt tropicale de l’Union européenne, sur 8 millions d’hectares.
Parmi les bénéficiaires de ce changement de règles : le centre spatial de Kourou. Alors que l’accès à l’électricité est sous pression face au développement de la population, le centre prévoit de se doter de deux centrales à biomasse destinées à sa propre consommation.
Signe que le gouvernement a conscience des conséquences négatives de ce décret sur les gaz à effet de serre : il a exempté la Guyane et la Réunion des contraintes concernant les émissions de CO2 pesant d’ordinaire sur la biomasse. Toutes les énergies renouvelables hors transport doivent normalement émettre 70 % de gaz à effet de serre en moins que les énergies fossiles, et 80 % pour les installations mises en place à partir de 2026. La déforestation de forêts tropicales ayant un bilan carbone calamiteux le texte a dû faire sauter ce cadre.
Pour la Réunion, un territoire nettement plus modeste, seules les « espèces invasives » pourront être déforestées et utilisées en tant que biomasse ; soit principalement l’acacia, introduit par l’homme, qui a tendance à menacer d’autres essences locales selon l’Office National des Forêts.
L’ONG Maiouri Nature Guyane prévoit d’ores et déjà d’attaquer la légalité de ce décret devant le Conseil d’État : il ne serait pas conforme à la constitution ni aux engagements climatiques de la France contractés dans le cadre d’accords internationaux.