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Continuer la lectureEDF : nouvel examen de passage pour le mini-réacteur nucléaire Nuward
Le projet de petit réacteur modulaire d’EDF, qui a touché 75 millions d’euros de subventions de France 2030 l’an dernier, fera l’objet d’une revue stratégique en fin d’année.

Nouveau point d’étape à venir pour Nuward. Selon nos informations, la nouvelle version du réacteur modulaire de petite puissance (Small Modular Reactor - SMR) conçu par EDF s’attend à un examen de passage en fin d’année. Il devrait faire l’objet d’une revue stratégique en comité exécutif. De fait, pour espérer aboutir, la nouvelle mouture du réacteur sur laquelle s’est engagé le groupe depuis un an, nécessite d’être financée. Un défi compte tenu du mur d’investissements auquel est confronté EDF, engagé toute à la fois dans le programme de modernisation et d’allongement du parc existant (« grand carénage »), dans la construction des EPR d’Hinkley Point et de Sizewell au Royaume-Uni et des six futurs EPR2 qui doivent être mis en service en France à partir de 2038.
Porté par sa filiale dédiée Nuward, créée fin 2022, le SMR tricolore a quelques boulets aux pieds. Mi-2024, ainsi que l’avait révélé l’Informé, le projet avait dû se repositionner en profondeur. Trop complexe, le design initial qui s’appuyait sur une chaudière intégrée conçue par TechnicAtome avait dû être abandonné. La poursuite du projet avait été conditionnée à la mise au point d’un nouveau design, fondé cette fois « exclusivement sur des briques technologiques éprouvées », selon les termes du groupe (voir encadré). Un nouveau DG - Julien Garrel - avait été nommé dans la foulée.
La question du financement de la nouvelle version se pose d’autant plus vivement que Nuward 1 a déjà consommé quelques dizaines de millions d’euros. Et qu’il en faut encore des centaines pour rester dans la course. Comme l’explique la Commission de régulation de l’énergie (CRE) dans son rapport de septembre sur « l’insertion des petits réacteurs modulaires dans les systèmes énergétiques », le financement de la phase de construction des mini-réacteurs - qu’il s’agisse des SMR de 3e génération ou des AMR (Advanced Modular Reactor) de 4e génération - est « de l’ordre du milliard d’euros ». Pour l’heure, on en est encore loin. En deux ans, la maison mère a injecté un peu plus de 175 millions d’euros dans le projet, dont un peu plus de 90 millions l’an passé.
Mais le rétropédalage de 2024 sur le design n’a pas été sans conséquences. Nuward a dû procéder à une dépréciation de ses actifs incorporels. Evalués 195 millions d’euros, les coûts de développement du SMR d’EDF ont ainsi été dépréciés de 120 millions d’euros sur le dernier exercice. Justification avancée dans les comptes de l’entreprise : « Les avantages économiques » de la version 1 sont devenus « trop incertains compte tenu des perspectives d’arrivée sur le marché du produit et de la nouvelle approche technique retenue » en 2024. Côté subventions publiques, le groupe a bénéficié pour l’instant d’une première tranche, dans le cadre du plan d’investissement France 2030 : en mai 2024, Bpifrance a versé 75 millions d’euros sur les 300 millions d’euros prévus.
Cette manne conséquente reste cependant très insuffisante au regard des progrès réalisés par les concurrents internationaux d’EDF. « L’Europe est en retard dans le développement et les premières réalisations de SMR/AMR par rapport à la Chine, la Russie et les États-Unis, rappelle le rapport de la CRE. Aucun pays n’ayant encore atteint l’effet de série, ce retard est rattrapable, à condition toutefois de déverrouiller l’obstacle actuel de financement de la phase de construction du prototype ». Le coût très élevé des têtes de séries, impossible à assumer « par le marché et les financeurs privés », rend non seulement le soutien public « fondamental » mais suppose aussi que « des coopérations et joint ventures avec des institutions et des partenaires industriels et financiers d’autres États membres soient établies. »
Longueur d’avance pour le BWRX-300
À ce titre, l’alliance nouée depuis 2007 entre l’américain GE Vernova et le japonais Hitachi dans la coentreprise GE Vernova Hitachi Nuclear Energy (GEH) a pris une longueur d’avance sur les SMR. Le premier fournit son expertise sur les réacteurs et les combustibles et le second son expérience dans la construction modulaire. Résultat : leur petit réacteur modulaire à eau bouillante, BWRX-300, gagne incontestablement du terrain. Au Canada, les travaux d’un projet de tête de série se poursuivent à grand pas sur le site de Darlington, dans l’Ontario. Leur SMR a aussi été sélectionné en 2022 par l’énergéticien SaksPower pour un projet dans la province du Saskatchewan. La Pologne a également choisi la technologie de l’alliance américano-japonaise pour un déploiement sur son site de Włocławek. Idem en Estonie, pour un projet avec Fermi Energia ou en Suède où le modèle GE Hitachi a été retenu avec celui de Rolls Royce SMR pour son site de Ringhals. Au Royaume-Uni, le BWRX est entré depuis quelques mois dans la seconde phase d’homologation préalable par l’autorité de sûreté nucléaire britannique…
Sur ce point, EDF semble à la croisée des chemins. La recherche d’un partenaire industriel capable de co-investir dans Nuward semble de plus en plus indispensable. La question s’était déjà posée pour le précédent PDG Luc Rémont, qui avait un moment envisagé d’abandonner Nuward au profit d’investissements dans les projets déployés par des groupes étrangers, comme Westinghouse, Rolls Royce ou Ansaldo.
Nuward 2 versus Nuward 1
Réacteur de 3e génération, Nuward utilise la technologie des réacteurs à eau pressurisée (REP), identique à celle des réacteurs EPR, comme celui de Flamanville, ceux en construction au Royaume-Uni (à Hinkley Point et Sizewell) ou encore les EPR2 qui doivent compléter le parc français. La V2 de Nuward propose une puissance électrique allant jusqu’à 400 MW (contre 2 X 170 MW pour la version précédente) et une production de chaleur, pour l’industrie ou les villes. Le nouveau design reprend un schéma de réacteur classique, dit « à boucles », semblable à celui existant dans le parc des centrales françaises (voir notre article). La simplicité, la modularité et la préfabrication en constituent toujours les fondements.
Depuis la réorientation du projet, la réflexion engagée ces derniers mois a notamment porté sur la capacité du groupe à produire les « briques technologiques » du SMR « dans les usines de Framatome », comme l’expliquait en février Julien Garrel à la Société française d’énergie nucléaire (Sfen). Le calendrier prévisionnel vise un « concept design » pour 2026, un « basic design » en 2029 et un « design détaillé », préalable à la construction, à partir de 2030.