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Continuer la lectureAu tribunal de commerce de Paris, le président Patrick Sayer soupçonné de conflit d’intérêts avec les Dassault
L’ancien patron d’Eurazeo s’est prononcé dans un dossier concernant la famille de l’avionneur alors qu’il est administrateur de Valeo, dont Dassault est actionnaire.

C’est, au départ, une affaire tout à fait mineure. Impliquant un membre de la famille Dassault, elle a pris une telle ampleur qu’elle a fini par mettre en cause Patrick Sayer, président du tribunal de commerce de Paris (aujourd’hui renommé tribunal des activités économiques) depuis 2024. Tout commence avec un livre de photos de Kelly Dassault. Cette femme qualifiée de « Mompreneure » par Forbes France doit son patronyme célèbre à son époux Julien, petit-fils de Serge Dassault. Ensemble, ils ont créé une holding familiale qui détient notamment la société d’édition et de production 27 Films. C’est dans ce cadre qu’elle a publié en 2019 le livre Zona Norte qui portraiture des migrants à la frontière mexicaine, dans la ville de Tijuana. Pour en faire la promotion, la jeune femme et son mari se tournent vers une petite agence parisienne de relations presse. 27 Films établit un contrat avec la microentreprise, puis l’honore durant deux mois en s’acquittant des versements prévus, mais néglige de régler la dernière facture. Suite à de nombreuses relances restées sans réponse, le prestataire finit par saisir le tribunal de commerce de Paris en 2021.
La procédure qui aurait dû être assez simple va pourtant se corser rapidement. La première juge chargée du dossier est en effet mariée avec le directeur d’un département d’Artcurial, une maison de ventes aux enchères appartenant au groupe Dassault. Découvrant les liens familiaux patents entre la photographe et cette juge, le plaignant suggère de la récuser, ce qu’elle accepte immédiatement. Le juge qui va lui succéder donne raison à l’agence qui espère enfin récupérer son dû. L’affaire ne s’arrête pourtant pas là. Kelly et Julien Dassault se pourvoient en cassation avec un certain succès : le dossier est renvoyé au tribunal de commerce.

Las ! Les péripéties se poursuivent. Le plaignant conteste la désignation de la nouvelle juge chargée de l’affaire. Elle aurait en effet des relations familiales dans l’industrie aéronautique - et donc avec la famille Dassault, omniprésente dans ce secteur avec Dassault Aviation. Mais cette fois, plutôt que de se dessaisir, la juge se maintient ; le plaignant entreprend alors une requête en récusation.
Fait inhabituel, dans les observations en réponse à cette requête, le président du tribunal de commerce Patrick Sayer s’est exprimé en son nom propre. Il a contesté tout conflit d’intérêts et estimé qu’il n’y avait pas lieu de dépayser l’affaire. D’abord parce que la première juge mise en cause n’a plus de mandat. Ensuite parce que lui-même n’aurait aucun lien de subordination avec la famille Dassault.
C’est là que le problème prend de l’ampleur. Pas convaincue par les arguments de Sayer, l’agence de relations presse a établi une nouvelle requête en récusation auprès de la Cour d’appel de Paris, visant cette fois directement le président du tribunal de commerce. Et la réponse a été nette. Dans une décision datée du 2 août 2024, le président de la juridiction a jugé qu’il y avait une suspicion légitime de conflit d’intérêts entre M. Sayer et la famille Dassault. En effet, en plus de présider le tribunal de commerce de Paris, M. Patrick Sayer est administrateur de l’équipementier automobile Valeo, société dans laquelle le groupe Dassault détient une participation de 5,35 %.
Pour la cour d’appel, vu le montant relativement faible de la participation dans Valeo, le président du tribunal de commerce n’est certes pas dans une situation de dépendance à l’égard de cette famille ; en revanche, elle a estimé que « la situation est de nature à créer une situation objective de conflit d’intérêts ».
Plus grave, la cour a estimé que la suspicion légitime du président affecte toute la juridiction, en raison de son autorité hiérarchique sur les autres juges. L’affaire a donc été finalement été envoyée, à la demande de la cour d’appel, dans une autre chambre consulaire, en l’occurrence celle de Bobigny, où elle poursuit son cours.
La décision pourrait faire tâche d’huile. De nombreuses sociétés du Groupe Dassault ont en effet des affaires en cours au tribunal de commerce de Paris. Déjà, tous les dossiers concernant Valeo ont été prudemment dépaysés.
Contacté, Patrick Sayer, président du tribunal des activités économiques de Paris, n’a pas souhaité réagir.