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Continuer la lectureUn petit entrepreneur breton attaque Apple en contrefaçon
Devant le tribunal judiciaire de Paris, un entrepreneur brestois défie le géant américain, lui reprochant d’avoir copié la marque de sa salle de sport, Fitness Plus.

Pilates, renforcement musculaire, méditation, gainage… Accessible en France depuis le 3 novembre 2021, Apple Fitness+ est une plateforme de vidéos à la demande proposée sur abonnement par la firme de Cupertino pour vous aider à vous maintenir en forme. La marque est aussi devenue le ring d’un important contentieux initié par un certain Loïc Pajot, dirigeant de la société brestoise Sport & Fitness Management France (SFM). L’entreprise exploite un complexe sportif sous la marque « Fitness Plus » depuis fin 2011. Au menu, cours particuliers ou collectifs, mais également cours en ligne via son site Fitnessplus.fr. En 2020, l’annonce par Apple de son service « Fitness+ » (ou Forme) a ouvert les hostilités. Les différentes mises en demeure adressées par SFM au géant californien sont toutes restées vaines. « Nous n’avons donc pas eu d’autre choix que d’assigner Apple devant le tribunal judiciaire de Paris », a plaidé à la barre Me François-Xavier Langlais, avocat du plaignant. L’inventeur de l’iPhone et de l’Apple Watch a développé cependant de nombreux arguments pour défendre sa plateforme, dans une audience organisée le 17 avril au tribunal judiciaire de Paris à laquelle a assisté l’Informé.
Trois appellations sont ciblées dans l’assignation visant l’américain Apple Inc. et l’irlandais Apple Distribution : « Apple Fitness+ », « Pomme Fitness+ » (logo d’Apple suivi de Fitness+, ndlr) et même simplement « Fitness+ », toutes repérées par le Brestois dans les diverses communications officielles d’Apple. En mars 2021, le chef d’entreprise avait été jusqu’à faire opposition à ces dépôts de ces marques concurrentes devant l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO). Seulement un écueil a barré cette route : postérieurement à l’assignation, début 2022, il a souhaité faire évoluer son logo en déposant une nouvelle marque, remplaçant le fond orange initial par un fond bleu. Il pensait alors garder l’antériorité de la première marque. Raté : passé le délai de 10 ans, celle-ci a été frappée de déchéance (le 26 décembre 2021). L’action en contrefaçon reste malgré tout d’actualité, soutient son avocat, au moins pour les faits antérieurs à cette expiration car la marque « Fitness Plus », au jour de son dépôt en 2011, était suffisamment distinctive. « D’ailleurs, a-t-il exposé devant le tribunal judiciaire de Paris, je m’étonne qu’Apple considère que ce n’est pas le cas, alors qu’elle a pris le soin de déposer une quinzaine de marques combinant Apple Fitness+ et Pomme Fitness+ ». Le risque de confusion serait évident chez le consommateur d’attention moyenne, un critère essentiel en la matière. Dans sa plaidoirie, il craint la consécration d’un passe-droit pour la firme à la Pomme, où « lorsque cette société américaine constate qu’une marque n’est pas disponible parce qu’il y a des droits antérieurs de tiers, elle rajoute sa marque mondiale (« Apple », ndlr) à l’ensemble pour ensuite soutenir que l’élément dominant c’est Apple. Une technique qui lui permet de s’arroger des droits sur des termes antérieurement protégés et exploités ».
Un autre reproche est adressé au géant de la tech : une concurrence déloyale sur le nom de domaine « fitnessplus.fr » , détenu par Loïc Pajot depuis 2013. Pour justifier l’exploitation effective de ce site, l’avocat du gérant brestois a fourni de nombreuses copies d’écran, faites depuis Archive.org, site qui engrange la mémoire du web, outre 500 pages de mails relatifs à des demandes de tarifs, de contacts ou d’abonnement, sans oublier des données issues de Google Analytics. « J’ai plus de gens qui consultent le site depuis Paris que depuis la Bretagne ! », a soutenu sa défense, dénonçant là encore un risque de confusion au regard de la similarité entre les services en ligne.
En réparation, il réclame à titre principal la bagatelle de 300 000 euros au titre de la concurrence déloyale et autant au titre de la contrefaçon, soit une ardoise de 600 000 euros. « Cette action n’a pas été initiée pour récupérer de l’argent auprès d’Apple, assure néanmoins son avocat. Le seul objectif est que cela cesse, qu’on ne puisse pas se permettre, en tant que multinationale, d’arriver, d’accoler son nom commercial à une marque antérieure qui est dûment exploitée, et de dire « désolé, tchao, allez-vous en ! » ». En conséquence, il réclame au surplus la cessation de l’exploitation des trois appellations litigieuses (« Apple Fitness+ », « Fitness+ » et « Pomme Fitness+ »), sous astreinte.
Face à ces attaques, Me Loïc Lemercier, avocat d’Apple, considère déjà ces montants bien trop importants. « On parle d’une marque expirée en décembre 2021. 53 jours d’exploitation, ça ne justifie pas les montants demandés ! », a-t-il exposé, en relevant que l’entreprise brestoise avait été placée sous plan de sauvegarde en 2020. Surtout, il estime que les conditions de la contrefaçon ou de la concurrence déloyale ne sont pas réunies. Apple aurait une pratique tout à fait classique consistant à associer sa marque étendard à des termes présentés comme très usuels. « Nous ne cherchons donc pas à nous arroger des droits sur des marques antérieures, puisque ces mots ne sont pas distinctifs. C’est notamment le cas de l’Apple Watch. On ne peut déposer Watch pour des montres ! ». Apple Vision, Apple Cloud, Apple Music, Apple Store, Apple Mouse, seraient tous logés à la même enseigne… tout comme Fitness+ : « Apple Fitness+ est une déclinaison de la marque notoire Apple associée à un mot commun ». Au chevet de la doctrine maison, il relève que la firme américaine n’a pas fait opposition à la nouvelle marque « Fitness Plus » sur fond bleu déposée par Loïc Pajot en décembre 2022, pour une raison simple : « cette marque n’était pas distinctive, elle n’intéresse personne ».
Dans sa contre-offensive, Apple demande en conséquence la nullité de la marque « Fitness Plus ». Le terme « Fitness » était déjà largement utilisé en 2011, au moment du dépôt de la marque. Quant au symbole « Plus », il serait simplement laudatif, « afin de rajouter une qualité supérieure à un produit ou un service ». De même, il réfute tout risque de confusion. « La raison est simple. Nous avons apposé Apple à côté de Fitness+, soit l’une des plus grandes marques au monde, connue en France depuis plus de 40 ans ». Dans la foulée, il a insisté sur les caractéristiques de la plateforme vidéo proposée sur abonnement par son client. « Ce service n’est pas accessible si facilement. Il faut un appareil Apple, télécharger l’application Forme en France ou Fitness+ à l’étranger, puis s’abonner ». Même argumentaire pour le nom de domaine. « Nous estimons que le demandeur ne démontre pas le risque d’association entre Apple et une salle de sport à Brest ». La décision sera rendue d’ici quelques mois.
Le précédent « Lion »
En septembre 2012, Apple avait été épinglé par la cour d’appel de Paris pour l’utilisation du terme « Lion », nom attribué à son nouveau système d’exploitation d’alors. La même marque avait été déposée deux ans auparavant par Circus, une SARL spécialisée dans la création graphique basée à Montrouge. Confirmant une ordonnance rendue par le tribunal de grande instance de Paris, les juges d’appel n’avaient pas souhaité imposer une mesure d’interdiction à l’encontre de la firme américaine. Une issue jugée disproportionnée puisque Circus n’avait pas encore exploité la marque en question. Ils avaient tout de même accordé à la PME une indemnité provisionnelle de 50 000 euros. En novembre 2012, les deux parties avaient finalement trouvé un accord.