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Continuer la lectureTelegram : l’enquête qui a mené à l’arrestation de Pavel Durov
Une juge de Pontoise avait signé une réquisition début août pour identifier les créateurs d’un canal de discussion. La cryptologie mise en place par l’entrepreneur franco-russe figure parmi la longue liste des infractions potentielles.

« L’arrestation du président de Telegram sur le territoire français a eu lieu dans le cadre d’une enquête judiciaire en cours. Ce n’est en rien une décision politique. Il revient aux juges de statuer » vient de commenter Emmanuel Macron, en réaction aux nombreuses critiques qui ont émaillé l’interpellation de Pavel Durov, PDG et fondateur de la messagerie sécurisée Telegram. Selon nos informations, ce dossier a franchi une étape décisive début août lorsqu’un officier de police judiciaire, sous le contrôle d’Elsa Evrard, vice-présidente chargée de l’instruction au tribunal judiciaire de Pontoise, a signé une réquisition pour obtenir les données d’identification des auteurs d’un canal Telegram, aujourd’hui fermé. Cette réquisition a été envoyée aux îles Vierges britanniques, là où la messagerie est enregistrée. L’information ouverte « contre X » énumère une longue liste d’infractions, qui, faute de coopération satisfaisante avec les autorités françaises, a pu conduire à cette arrestation « pour complicité », samedi 24 août au Bourget, selon TF1. L’intéressé, visé par un mandat de recherche de l’office mineurs (OFMIN), est depuis en garde à vue.

Dans cette information contre X, les infractions en cause sont nombreuses. Elles vont de la détention d’images pédopornographiques au blanchiment d’argent, en passant par des faits de piratages informatiques, de trafic de stupéfiants ou encore d’escroquerie en bande organisée. D’autres infractions beaucoup plus techniques visent la « fourniture d’une plateforme en ligne pour permettre une transaction illicite en bande organisée » et surtout le chiffrement des communications. Sont listées « la fourniture de prestations de confidentialité sans déclaration conforme », « la fourniture de moyen de cryptologie n’assurant pas exclusivement des fonctions d’authentification sans déclaration préalable » mais aussi « l’importation d’un moyen de cryptologie n’assurant pas exclusivement des fonctions d’authentification ou de contrôle d’intégrité sans contrôle préalable ».
En France, les moyens de cryptologie sont toujours soumis à une réglementation spécifique, rappelle sur son site l’Agence pour la sécurité des systèmes d’information (ANSSI). En principe, pose la loi sur la confiance dans l’économie numérique de 2004, « L’utilisation des moyens de cryptologie est libre ». Seulement, cette liberté n’est pas totale. Le fournisseur d’un tel outil a en effet l’obligation d’effectuer des démarches auprès de l’autorité placée sous la responsabilité du Premier Ministre. La loi de 2004 demande au fournisseur de tenir à sa disposition « une description des caractéristiques techniques de ce moyen de cryptologie », mais également le code source du logiciel. Contactés, le tribunal judiciaire de Pontoise et les services spécialisés de la gendarmerie n’ont pas encore répondu à nos questions à l’heure de la publication de cet article. L’ANSSI ne peut apporter de commentaire, « l’affaire étant judiciarisée ». Dans un communiqué publié ce lundi après-midi, le parquet de Paris confirme ces informations, en indiquant que les magistrats instructeurs avaient en amont « cosaisi le Centre de lutte contre les criminalités numériques (C3N) et l’Office national anti-fraude (ONAF) de la poursuite des investigations ».
Sur X. com, la messagerie Telegram a officiellement réagi, jugeant « absurde de prétendre qu’une plateforme ou son propriétaire sont responsables de l’abus de cette plateforme ». La solution assure respecter les lois européennes, dont le règlement sur les services numériques qui contient un volet sur la régulation des contenus. La question des réquisitions adressées à un acteur installé hors de nos frontières a aussi fait réagir les juristes spécialisés. « En l’état actuel, en termes de conformité de l’État de droit, cela se rapproche de l’autoritarisme, c’est très inquiétant », commente ainsi Me Alexandre Archambault, joint par l’Informé. Pour le juriste, les autorités françaises « peuvent toujours demander des informations (...) mais, dans le cas présent, il faut passer par la coopération internationale ». Et celui-ci de pointer un arrêt de la Cour de cassation de 2013 qui rappelle que les officiers de police judiciaire n’ont compétence que dans les limites du territoire où ils exercent leurs fonctions. Il ne leur est pas interdit de recueillir (...) des renseignements en dehors de leur circonscription, fût-ce en adressant directement une demande à une personne domiciliée à l’étranger ». Mais dans un tel cas, celle-ci est « libre de ne pas y répondre ».