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Continuer la lectureSoupçon de triche dans le comparatif annuel des opérateurs mobiles de l’Arcep
Très utilisée dans leurs pubs par Orange, SFR, Bouygues et Free, l’enquête 2024 sur la qualité de service mobile n’est toujours pas parue. L’Informé révèle pourquoi.

« Classé meilleur réseau mobile en France ». Chaque année depuis treize ans, Orange claironne à grand renfort de publicité, être numéro 1 (parfois ex aequo) en zone urbaine ou encore dans les campagnes pour passer des appels, envoyer des SMS ou se connecter à Internet par smartphone. Ces discours commerciaux s’appuient sur un état des lieux toujours très attendu et publié chaque année en octobre par l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (Arcep) : les mesures de la qualité de services (ou QoS, Quality of Service) permettant aux abonnés de savoir qui, d’Orange, Bouygues, SFR ou Free (dont le fondateur Xavier Niel est actionnaire à titre personnel de l’Informé), offre les plus belles performances en termes de couverture, débit, ou encore qualité des appels. Sur le papier, ce classement, établi à partir de 278 critères de performances, veut refléter concrètement l’expérience réelle des utilisateurs de smartphones. En 2023, l’Arcep avait traité plus d’un million et demi de mesures en 2G, 3G, 4G et 5G pour conclure notamment qu’en zone dense « Orange et Bouygues Telecom se démarquent en offrant des performances équivalentes ». Pour l’enquête 2024, année où les réseaux ont été mis à rude épreuve avec les Jeux olympiques, les clients sont priés de patienter. Dans un laconique communiqué publié le 4 décembre dernier, le gendarme des télécoms a annoncé un report de son étude de terrain, le temps de « fiabiliser » les données et s’assurer qu’elles soient bien représentatives. Dans une délibération consultée par l’Informé, l’autorité a été beaucoup plus bavarde sur les causes exactes de ce retard, jugées suffisamment graves pour justifier l’ouverture d’une enquête administrative.
En pratique, les mesures sont réalisées par un organisme indépendant choisi par l’Arcep, et dont les frais sont couverts par les quatre opérateurs. Pour 2024, AFD.Tech (filiale d’Accenture), le prestataire sélectionné cette année qui compte déjà les plus grands opérateurs mobiles parmi ses clients, a réalisé de multiples relevés de mai à juillet. Seulement, les résultats, en particulier en zone dense (agglomérations de plus de 200 000 habitants) et intermédiaire (10 000 et 200 000 habitants) sur la 5G, ont montré des différences bien trop importantes sur les débits descendants, à savoir la réception du flux de données pour surfer ou encore visionner une vidéo en streaming. Dans une délibération interne de septembre 2024, consultée par l’Informé, Laure de la Raudière, présidente de l’Arcep fait état de « disparités marquées », notamment entre les différents territoires. Des écarts de performance sont traditionnels entre opérateurs, puisqu’ils évoluent selon les stratégies d’investissement et de déploiement propres à chacun, mais cette fois, les inégalités sont bien trop criantes. Elles « soulèvent des interrogations quant à la présence de paramètres techniques spécifiques, d’équipements ou de fonctionnalités déployés différemment, susceptibles d’affecter les résultats des mesures de la qualité des services mobiles », écrit poliment la présidente de l’autorité, sans citer d’opérateur en particulier. En clair, la cause peut aller d’un bug technique jusqu’à la manipulation volontaire de la part d’un acteur et/ou de son équipementier.
Pour tenter de faire toute la lumière, la formation de règlement des différends, de poursuite et d’instruction (RDPI) a décidé d’ouvrir formellement une enquête administrative. « Les causes des résultats ainsi constatés, poursuit la délibération, doivent être approfondies afin de s’assurer que les résultats de la qualité des services mobiles reflètent l’expérience réelle des utilisateurs, et ce faisant, permettent à ces derniers d’accéder à des informations complètes, comparables et fiables ». L’objectif est de vérifier « la réalité et de l’importance des écarts de performance » mais aussi d’en comprendre l’origine exacte « afin d’écarter tout biais dans la qualité de service mesurée sur les réseaux des opérateurs mobiles, qui serait susceptible de fausser la concurrence entre opérateurs ».

Pour mener ces investigations, les agents de l’autorité peuvent demander la communication de tous les documents nécessaires à Bouygues Telecom, Free mobile, Orange et SFR mais également à leurs sous-traitants et à leurs équipementiers réseau. Ils peuvent même faire des enquêtes sur place, sans que le secret professionnel ne puisse leur être opposé. Une série de questions techniques a déjà été adressée à la bande des quatre, avec un intérêt notable sur la 5G. Les enquêteurs veulent par exemple savoir si les équipements réseau utilisés intègrent des « fonctionnalités permettant l’optimisation de certains flux ou terminaux, telle qu’une prise en compte du type de terminal dans les décisions du scheduler (anglicisme pour planificateur, ndlr) de l’équipement réseau ». Traduction : avec des paramètres spécifiques activés au moment des analyses, un opérateur pourrait avoir priorisé certains terminaux (par exemple un iPhone) pour maximiser les performances de débits. L’autorité indépendante réclame également copie des journaux techniques (« logs »), ce qui lui permettra de vérifier les déclarations des uns et des autres. De quoi susciter des interrogations chez les équipes des opérateurs. « La question a été posée à la direction qui nous a confirmé une enquête en cours en raison de résultats sur la qualité de réseaux différents en fonction des téléphones utilisés, indique un salarié d’Orange. Mais cela ne semble pas les inquiéter outre mesure ». Un autre employé de l’opérateur historique renchérit « on nous a expliqué qu’il s’agissait d’une question de temps avant d’avoir les résultats de cette étude ».
L’épisode, sans doute une première dans l’histoire de l’analyse de la QoS de l’Arcep, jette un pavé dans la mare de la téléphonie mobile. Plusieurs interlocuteurs en viennent même à questionner la sincérité des mesures passées. Contactés par l’Informé, Orange, Free, Bouygues Telecom et SFR refusent de commenter l’épisode. Chez les équipementiers, Nokia et Ericsson n’ont pas souhaité réagir, pas plus qu’Huawei. AFD.Tech, le prestataire chargé de relever les données, n’a pas répondu à nos sollicitations, au moment de la publication de cet article. Enfin, l’Arcep estime de son côté qu’ « il est encore trop tôt dans le travail d’analyse qui est effectué » pour répondre à nos questions. « Nous publierons un nouveau communiqué le moment venu sur les résultats de l’enquête et ses éventuelles suites ». Le classement est publié traditionnellement autour du 20 octobre, il a déjà plus de trois mois de retard…
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