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Continuer la lecturePourquoi C8 creuse ses pertes malgré de bonnes audiences
Les cartons de Cyril Hanouna n’y font rien… L’an dernier, la filiale de Canal+ a vu son chiffre d’affaires reculer pour atteindre son niveau le plus bas depuis 10 ans. Explications.

Ce 13 mars, devant les élus de la Commission d’enquête de l’Assemblée nationale sur l’attribution des fréquences télé, Vincent Bolloré, le retraité le plus actif du Paf, est questionné sur le modèle économique des chaînes gratuites dont il est le principal actionnaire. « Je crois savoir que vous auditionnerez Cyril Hanouna demain. Vous lui demanderez pourquoi il rassemble chaque soir sur C8 plus de 2 millions de téléspectateurs, jeunes pour la plupart, qui ont envie de regarder ce qu’il propose. Y a-t-il de l’idéologie là-dedans ? Je n’en suis pas sûr. Il y a une liberté et une joie. »
Une liberté qui a un prix. L’ex-Direct 8 a enregistré l’an dernier le chiffre d’affaires le plus bas depuis son changement de nom en 2016, à 84,2 millions d’euros, en baisse de 2,5 % sur un an, selon les comptes sociaux obtenus par l’Informé. Dans le même temps, les pertes nettes se sont creusées de 29 %, soit 48,5 millions d’euros. Au total, elles s’élèvent à 736 millions d’euros en cumulé depuis la création en 2005. Sur les huit dernières années, la chaîne a perdu 368 millions d’euros, et vu ses revenus baisser de plus d’un quart.
Ces mauvais comptes peuvent étonner au regard des audiences de la chaîne qui, elles, progressent. L’an passé, C8 a ainsi gagné 0,3 point de part d’audience sur les 4 ans et plus, rattrapant TMC avec 3,1 %.
Comment expliquer ce paradoxe ? Déjà, l’âge moyen du téléspectateur de l’ex-Direct 8 ne fait que reculer. Il est passé de 52 ans en 2018 à plus de 60 ans l’an dernier et même à 61,2 ans sur les quatre premiers mois de 2024. Une cible moins intéressante pour les annonceurs. D’ailleurs, ce vieillissement des fans de la touche 8 de la télécommande se fait au détriment du public préféré des publicitaires, les « femmes responsables des achats de moins de cinquante ans » (FRDA-50) pour reprendre l’expression du milieu de la pub. Sur ce segment, C8 ne cesse de perdre du terrain. Elle est tombée de 4,1 % en 2015 à 2,9 % en 2022, puis 2,7 % en 2023. Sur les 25-49 ans, on constate un recul identique l’an dernier, de 3 % à 2,7 %.
Enfin, dernière explication, depuis l’automne 2022, le collectif Sleeping Giants fait pression sur les marques pour qu’elles arrêtent de diffuser des spots en raison des programmes controversés. Dans leur viseur : Touche pas à mon poste ! présentée par Cyril Hanouna, émission la plus sanctionnée par le gendarme de l’audiovisuel. « Sur l’année 2023, nous avons été particulièrement actifs sur TPMP, indique Camille, porte-parole de ce collectif. L’efficacité est difficile à juger, car l’extrême toxicité de l’environnement TPMP dissuade les annonceurs de réagir publiquement, de crainte de s’exposer aux armées de trolls (dont certains rémunérés) qui attaquent violemment tous ceux qui critiquent l’émission ou la chaîne. »
Cyril Hanouna participe aussi à la hausse des coûts de la chaîne, et donc à ses pertes. En 2023, les différentes amendes infligées par l’Arcom concernant TPMP ont représenté 4,7 millions d’euros*, soit 10 % du déficit total. Même si toutes les sanctions ont été contestées devant le Conseil d’État, elles ont tout de même dû être réglées, indique le régulateur. « On est passé de l’image de la chaîne du foot et du cinéma avec Canal à celle de la provocation et des scandales avec C8 et CNews », se lamente un salarié.
Tout cela ne fait pas les affaires de la filiale de Canal+... et de Vincent Bolloré. Lors d’une autre audition parlementaire en janvier 2022, le milliardaire breton insistait pourtant : « Le secteur des médias est le deuxième mondial en termes de rentabilité. Notre intérêt n’est donc ni politique, ni idéologique, mais purement économique. » Depuis que son groupe en a pris le contrôle en 2015, la rentabilité de C8 mais aussi celle de CNews, ont toujours été annoncées comme imminentes - voire déjà atteintes. Début mai, Maxime Saada assurait dans le Figaro que toutes deux « sont proches de l’équilibre, CNews est même rentable depuis quelques semaines ». Une déclaration qui fait rire un élu syndical. « Maxime Saada a tendance à enjoliver la réalité. Pour la direction, tout va toujours pour le mieux ».
De fait, cette promesse d’équilibre est loin d’être la première. En 2016 déjà, Vincent Bolloré déclare que C8 « est dans la rentabilité ». En 2017, Gérald-Brice Viret, directeur général de Canal+ France, annonce viser l’équilibre de CNews dans les trois ans. Un an plus tard, il promet que les deux canaux arrêteront de perdre de l’argent toujours « dans trois ans ». En 2020, le même jure que CNews sortira du rouge « au plus tard en 2022 », et C8 « fin 2021 ou 2022 ». En 2022, il assure que « CNews est à l’équilibre depuis six mois », et « C8 sera à l’équilibre en 2023 ».
Un changement de discours s’est toutefois opéré le 29 février lors d’une audition sous serment devant la commission d’enquête sur la TNT de l’Assemblée nationale. « C8 atteindra l’équilibre dans trois ans », soit en 2027, a expliqué Gérald-Brice Viret. « CNews visera l’équilibre dès 2025 », a ajouté le président du conseil de surveillance de Canal+ Jean-Christophe Thiéry. Contacté, le groupe Canal+ n’a pas souhaité faire de commentaire.
* 3,5 millions pour les insultes envers Louis Boyard, 300 000 euros pour celles contre Anne Hidalgo, 500 000 euros pour les propos complotistes de Gérard Fauré sur l’adrénochrome et 200 000 euros pour de la publicité clandestine.
CNews paye aussi son audience âgée
La chaîne d’information continue, filiale de Canal+, a elle aussi connu une année 2023 compliquée. Son chiffre d’affaires a reculé de 4,2 %, passant de 46,7 millions à 44,7 millions d’euros, quand ses pertes nettes ont presque doublé. Elles s’établissaient à 9,5 millions, contre 5,1 millions d’euros en 2022. Pourtant, son audience globale sur les 4 ans et plus a bien progressé de 2,1 % à 2,3 %. Mais l’ex-iTélé a stagné sur le segment des fameuses « femmes responsables des achats de moins de cinquante ans », où son score est deux fois moins élevé. Là encore, le vieillissement de l’audience a dû jouer puisque l’âge moyen était de 63,6 ans selon Médiamétrie (entre septembre 2023 et février 2024).