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Continuer la lectureLe classement des hôpitaux du Point bloqué par la CNIL
Best-seller du magazine depuis 20 ans, ce palmarès basé sur des données publiques vient de trouver une embûche sur sa route.

Chaque année, au moment de la rentrée, le classement des hôpitaux du Point est un rendez-vous très attendu par les lecteurs du magazine. Et un sacré chantier pour la rédaction. Pour établir son palmarès, Le Point adresse un questionnaire à chaque établissement portant sur les moyens humains et matériels à disposition. Il conjugue plusieurs critères comme la notoriété, l’activité annuelle, ou encore la technicité, l’indice de gravité des cas traités et le taux d’ambulatoire. Ces informations sont enrichies grâce à un accès aux données issues du Programme médicalisé des systèmes d’information. Ce PMSI est l’une des briques du système national des données de santé (SNDS) où on trouve un stock vertigineux de fiches : plus de 27 millions de dossiers patients hospitalisés, avec deux tiers dans le secteur public, un tiers dans le secteur privé. Cet accès est toutefois soumis à un feu vert de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL). L’Informé a appris que l’autorité indépendante venait tout juste de refuser au Point la précieuse autorisation.
C’est donc une vraie douche écossaise qui s’abat sur le magazine de François Pinault, d’autant que pour les précédentes décisions, dont celle du 28 janvier 2019, Le Point avait pu s’enorgueillir de l’aval de la CNIL pour son « traitement de données ayant pour finalité une étude portant sur l’évaluation de l’activité hospitalière en France ». Ce sésame lui permettait de se plonger dans les données du PMSI concernant l’hospitalisation en médecine, chirurgie, obstétrique et odontologie, et même dans le recueil d’information médicalisée en psychiatrie (RIM-P).
Les données de santé sont classées par le RGPD comme sensibles, mais dans son rapport de transparence , le Point apporte d’importantes précisions : « conformément à la loi, les données à caractère personnel du SNDS sont pseudonymisées : le SNDS ne comporte aucune donnée directement identifiante (ni le nom ni le prénom ni l’adresse ni le numéro d’inscription au Répertoire national d’identification des personnes physiques) ». En outre, « à travers la plate-forme dédiée gérée par l’Agence technique de l’information sur l’hospitalisation (ATIH), il n’est possible d’accéder qu’à des jeux de données anonymisées et agrégées afin d’éviter toute identification directe ou indirecte des personnes concernées ».
La CNIL, qui a le dernier mot dans ce dossier, n’est pas la seule à avoir rembarré Le Point. En amont de son autorisation, la réglementation impose au magazine de solliciter l’accord pluriannuel du Comité éthique et scientifique pour les recherches, les études et les évaluations dans le domaine de la santé (CESREES). C’est ce que la magazine avait fait en 2019 pour nourrir ses palmarès 2019, 2020 et 2021. Le site officiel du Health Data Hub en porte encore les traces. Ce comité, à l’époque appelé Comité d’Expertise pour les Recherches, les Études et les Évaluations dans le domaine de la Santé (CEREES), avait rendu un avis « réservé », mais ce petit nuage n’avait pas empêché la CNIL de retenir quelques mois plus tard la finalité d’intérêt public du classement. Un critère central dans cette procédure.
Renouvelée en 2022, cette demande a cette fois coincé. Le Comité s’est montré beaucoup plus critique sur la méthodologie suivie par nos confrères pour établir leur classement.
Une méthodologie critiquée
Le CESREES, dont les membres sont désignés par le gouvernement, a en effet rendu en juin et juillet derniers, deux avis « défavorables ». L’Informé a pu consulter ces documents. Bernard Nordlinger, son président et chef du service de chirurgie générale digestive et oncologie d’Ambroise-Paré (AP-HP) a estimé que le demandeur ne pouvait « se prévaloir de la finalité d’un intérêt public que si l’information présentée est pertinente et de nature à améliorer la connaissance du public sur le système hospitalier ». Or, les différents indicateurs utilisés par Le Point ne l’ont pas vraiment convaincu. Leur construction pourrait même « conduire à diffuser une information erronée sur les performances relatives réelles des établissements de santé pouvant induire en erreur les patients et être par conséquent contraire à l’intérêt public ».
Le comité ne se prive pas d’étayer ses conclusions par plusieurs coups de canon en direction du magazine : « la construction et l’interprétation des indicateurs reposent sur des présupposés qui ne sont pas étayés par la littérature scientifique. Les interprétations univoques ne sont pas non plus discutées ni étayées dans le protocole fourni par des arguments pouvant relever d’un corpus différent de celui de la littérature scientifique sur la performance des services de soin ».
Par exemple, l’indicateur de notoriété repose, selon le Point, sur « le calcul du pourcentage de malades soignés dans l’établissement alors qu’ils sont domiciliés dans un autre département ». L’hebdomadaire prévient dans son numéro de 2021 que « sauf exception géographique, plus ce pourcentage est élevé, plus cet hôpital est attractif ». Grimace du CESREES : « Le calcul est fait sans contrôle de la distance entre le domicile et l’offre de soin la plus proche ou la plus accessible correspondant aux besoins du patient, offre qui n’est pas nécessairement située dans le même département que le logement ».
La durée de séjour entre également dans la balance. Pour nos confrères,« une durée moyenne de séjour courte témoigne d’une bonne organisation du service, de la présence d’un personnel suffisant et entraîné, et permet de limiter les risques de contracter une infection pendant l’hospitalisation ». Trop léger aux yeux de comité : « il n’est à aucun moment indiqué si le calcul de l’indicateur tient compte de la gravité des cas traités dans les centres hospitaliers. La gravité des patients traités a un impact sur la durée de traitement nécessaire et les indicateurs retenus peuvent donc conduire à des évaluations erronées de qualité si ce n’est pas considéré ».
Ce n’est pas tout. Ces différents critères sont pondérés (« le nombre annuel de séjours par 3, la notoriété par 0,25, les autres critères classant par 1 le plus souvent »). Problème, le comité n’a pas compris le choix de ces coefficients. « De plus, la mention "1 le plus souvent" ne permet pas (...) de savoir comment l’indicateur final est vraiment défini ». De même, dans les questionnaires adressés aux établissements pour finaliser le classement, les non-répondants sont pénalisés. Nouveau boulet rouge du CESREES, qui étend son analyse au-delà de la seule question de l’accès au SDNS : « Ce critère n’est en aucun cas un critère de qualité de soin des centres hospitaliers et des cliniques. Ce choix induit donc la communication d’une information trompeuse au public ». Le comité en déduit que « la non-réponse à la demande de l’hebdomadaire pénalise les répondants et implique un rang plus bas dans le classement diffusé ».
Le CESREES rend de simples avis. La CNIL aurait donc pu ne pas les suivre, mais cette année, a appris l’Informé, l’autorité administrative indépendante a refusé de délivrer son autorisation d’accès au PMSI, se rangeant dans le sillage du CESREES. Sans le condamner, elle a aussi relevé que le classement des hôpitaux et cliniques était transmis à des mutuelles pour orienter les patients dans les parcours de soins. Le réseau SantéClair, qui travaille avec 55 complémentaires santé et 10 millions d’assurés, n’a jamais caché un tel partenariat.
Contacté par l’Informé, Etienne Gernelle, directeur du Point, préfère réserver sa position à ses propres colonnes. Plus prolixe, François Malye, l’un des coauteurs du classement, ne décolère pas. « Nous avons 22 ans d’expérience de l’hôpital, cela nous occupe toute l’année, et un comité d’apparatchiks nous explique que notre méthodologie ne leur plait pas. Clairement, nous rentrons en guerre ! ».
« Jusqu’à présent, depuis 2000, on nous disait que notre travail était d’utilité publique, embraye le journaliste joint par l’Informé. Nous n’avions aucune remarque sur la méthodologie et on nous laissait accéder aux données, même si c’était de façon de plus en plus restrictive ». Il regrette du coup que l’examen de la notion d’intérêt public se soit déplacé, par la loi, de la CNIL à un comité scientifique au sein du health data hub. « Depuis quand des personnes nommées par arrêté ministériel nous expliquent ce qu’est l’intérêt public ? (…) On nous a même dit qu’il fallait travailler avec le CESREES. Vous rigolez ? Notre palmarès est établi en toute indépendance [et] notre méthodologie est bonne surtout parce qu’il n’y a rien d’autre. La sécurité sociale ne fournit aucune information ! ».
« L’intérêt public, pour moi journaliste, c’est que les gens aient des informations sur l’hôpital. Ce palmarès n’a jamais été poursuivi » constate encore François Malye. « Il en va de la liberté de la presse. Nous interdire de publier en empêchant l’accès aux données, c’est de la censure préalable. »
Questionnée, la CNIL n’a pas souhaité nous répondre, ni sur l’examen de ce dossier ni sur la question de la liberté de la presse : « il est à ce stade prématuré pour nous de commenter cette décision, celle-ci venant d’être notifiée au Point ». La décision de l’autorité administrative indépendante est désormais susceptible de recours au Conseil d’État. « Cela ne va pas en rester là, c’est clair », prévient François Malye.