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Continuer la lectureAlila : l’empire d’Hervé Legros en pleine déconfiture
Prestataires non payés, agences fantômes, chute des effectifs… suite aux différentes procédures qui visent Hervé Legros, le promoteur immobilier prend l’eau.

Entre l’ouverture d’une enquête pour « harcèlement moral » et « abus de biens sociaux », une condamnation aux prud’hommes en février et un procès contre Médiacités qui s’est tenu ce mardi 17 octobre, Hervé Legros n’en finit pas de faire parler de lui. Le 26 septembre, l’Informé révélait que le fondateur du groupe de promotion immobilière Alila devait en plus s’acquitter de près d’un million d’euros d’impôts dans le cadre d’un redressement fiscal qu’il a contesté devant la cour d’appel de Paris. Autant de procédures qui font mauvaise presse et qui semblent précipiter aujourd’hui la chute d’un groupe et d’un PDG aux grandes ambitions.
C’est en tout cas ce que montre une enquête commerciale datée du 3 octobre, que L’Informé s’est procurée. La société Pouey International, spécialisée dans la gestion du risque client et fournisseur, a rendu un rapport accablant sur le promoteur lyonnais spécialisé dans la construction de logements sociaux : sur une échelle de 0 à 20 - 0 correspondant aux entreprises qui présentent le plus haut niveau de risque -, Alila obtient la note de 7. Par conséquent, l’analyste recommande d’éviter les relations commerciales avec l’entreprise : « Les retards récurrents de règlement fournisseurs au niveau du groupe et la possibilité d’une mise sous procédure collective (non officialisée à ce jour) imposent la plus grande prudence. Les relations commerciales sont déconseillées. » L’enquête a été réalisée sans que puissent être étudiés les comptes d’Alila pour l’année 2022, la société ayant repoussé par deux fois leur publication. La raison ? « Les commissaires aux comptes ont sollicité des informations complémentaires pour établir leurs rapports » indique la société. Alors que l’assemblée générale chargée d’approuver les comptes devait se tenir avant le 30 juin, elle devrait finalement se dérouler d’ici le 31 octobre.

L’ambiance devrait être lourde tant la taille du groupe se réduit mois après mois. Si son site internet revendique toujours 13 agences réparties dans 9 régions, la situation est en réalité tout autre. D’après nos informations, les bureaux de Strasbourg, Nantes, Bordeaux et Metz ne sont plus que des coquilles vides. À Aix-en-Provence, Alila louait des bureaux dans le centre d’affaires Amadeus depuis 2017. Contacté, ce dernier indique que le promoteur a quitté les lieux depuis le 31 juillet. L’agence de Lille n’a plus de directeur et ne compte plus que trois salariés, contre huit en 2022. À Nantes, l’effectif est passé de 12 personnes l’année dernière à… 1 seule. Le directeur d’agence a démissionné en novembre 2022, les autres ont suivi en cascade. « Hervé Legros ne licencie pas les gens, explique un ancien salarié de l’agence nantaise. Mais les insulter quotidiennement permet peut-être de les pousser à démissionner, tout en s’évitant un plan social. »
Selon un ancien directeur d’agence, qui souhaite conserver l’anonymat, les difficultés économiques que rencontre le groupe sont étroitement liées aux problèmes de management d’Hervé Legros. « Il a su s’entourer à une époque et il est monté très vite. Mais il descend tout aussi vite, à cause de sa personnalité : à force d’insulter tout le monde, il n’a plus personne autour de lui. Le turn-over chez Alila est énorme, ce qui complexifie le suivi des dossiers. » Dans un contexte de rétrécissement du marché et d’explosion du coût des matières premières, la situation est rendue critique. « Hervé Legros, c’est le mythe d’Icare. Il a voulu s’approcher du soleil, il s’y est brûlé et aujourd’hui il s’écrase. »

Logiquement, l’effondrement des effectifs rend la gestion des dossiers très compliquée. Les contestations s’accumulent. En Bretagne notamment, une fronde s’organise au sein des prestataires d’Alila, toujours en attente du règlement de leurs prestations. Sylvain Baron, gérant de l’entreprise d’électricité Allanic 56 dans le Morbihan, attend par exemple d’être payé depuis janvier pour une opération réalisée sur la résidence Ker Leguillon, à Vannes. Alila lui doit encore 24 000 euros. Un montant qui aurait dû lui être réglé lors de la livraison des logements. « Une telle somme dehors, alors que le chantier s’est très bien passé et a été validé par le promoteur, ce n’est pas acceptable », fulmine l’électricien. Il a tenté plusieurs fois d’appeler l’agence de Nantes, en vain. Au siège du groupe à Lyon, on lui a répondu qu’Hervé Legros devait gérer des « maîtres d’œuvre incompétents » et « des entreprises de l’Ouest Bretagne malveillantes ». « Nous sommes quand même concernés quelque part dans le lot, ce n’est pas très agréable à entendre. » L’entrepreneur a alerté la fédération française du bâtiment, dans l’objectif de prévenir les entreprises qui pourraient à l’avenir travailler avec Alila.
Un autre prestataire intervenu sur la même résidence et qui souhaite rester anonyme, attend lui aussi d’être réglé de 15 000 euros. « J’avais signé le marché à Nantes dans des bureaux hauts-de-gamme, l’entreprise paraissait solide. Tout se passait bien sur le chantier. Mais depuis juin, nous n’avons plus de nouvelles. » Il envisage de saisir le tribunal judiciaire de Lyon avec au moins trois autres entreprises. « Je suis prêt à payer un avocat 2000 euros pour en récupérer 15 000. Il ne faut pas le laisser agir impunément, d’autant plus que si personne ne dit rien, d’autres pourraient se faire avoir comme nous. »
Dans la région lilloise aussi, plusieurs prestataires attendraient leurs virements selon une source locale. À chaque fois, c’est la même histoire : les chantiers ont été livrés, les entreprises reçoivent un courrier leur indiquant qu’ils ont rempli tous les critères pour être réglés, mais les paiements ne viennent pas, le téléphone sonne dans le vide, le siège trouve des prétextes pour repousser les versements. Mais toutes les sociétés n’osent pas se fâcher avec Hervé Legros. Certaines caressent encore l’espoir d’être réglées et continuent de répondre à de nouveaux appels d’offres, pour rester dans les petits papiers d’Alila. D’autres craignent que le promoteur dépose le bilan et préfèrent garder le silence, de peur de précipiter le groupe dans sa chute et de ne jamais voir la couleur de l’argent qui leur est dû. Mais la fronde des prestataires bretons pourrait servir d’exemple et en convaincre d’autres à faire entendre leurs droits. Le groupe Alila, de son côté, n’a pas répondu à nos sollicitations.
Une réponse la société Alila
« Votre article dresse un tableau inutilement alarmiste de la société Alila. Il se fonde sur des extraits parcellaires d’un rapport non contradictoire, dont la méthodologie n’est pas précisée et qui se prononce, de façon particulièrement imprudente, sur la mise en place d’une procédure collective. Le report de la date de l’assemblée générale d’Alila, sans lien avec les prétendues difficultés économiques que vous évoquez, a été dûment autorisé, en toute transparence, un mois avant la parution de votre article, par le Président du Tribunal de commerce de Lyon.
Loin de la déconfiture que vous annoncez, Alila poursuit la marche normale de son exploitation et conforte, malgré la crise du logement que traverse la France, sa position d’acteur majeur du logement pour tous, tout en renforçant ses engagements sociétaux et environnementaux.
Les aléas que vous évoquez, avec des prestataires dont l’identité n’est pas précisée, sont tout à fait anodins, inhérents à la vie des affaires et des chantiers de construction, et insignifiants au regard des budgets des programmes concernés.
Enfin Alila comme son dirigeant Hervé Legros doivent, comme tout justiciable, bénéficier de la présomption d’innocence dans le cadre des procédures que vous évoquez en ouverture de votre article et au sujet desquelles ils réservent leurs explications à l’autorité judiciaire. »