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Continuer la lectureJO 2024 : des boutiques officielles… mais non déclarées
Cinq magasins partenaires de Paris 2024 et gérés par l’entreprise Sporeo n’ont pas été déclarés au registre du commerce. Les fondateurs encourent trois ans d’emprisonnement.

Le lundi 14 novembre 2022, la première boutique officielle des Jeux olympiques et paralympiques ouvrait discrètement ses portes dans le centre commercial des Halles à Paris. Sur 80 mètres carrés, le visiteur peut s’offrir tous les produits tamponnés Paris 2024, des tee-shirts aux gourdes en passant par des tours Eiffel, des mugs ou encore des mascottes en forme de bonnet phrygien. Mais depuis cette date, l’établissement n’a jamais été déclaré au registre du commerce et des sociétés (RCS), ni lui ni les quatre autres boutiques du même genre créées par la société Sporeo. Une démarche pourtant obligatoire et sans laquelle l’entreprise s’expose à trois ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende pour dissimulation d’activité.
C’est en 2019 que Thibault Houot, Mathieu Baillet et Laurent Guilhot fondent l’entreprise Sporeo, spécialisée dans les produits dérivés autour des événements sportifs. Les deux premiers se sont rencontrés lors de leur master à l’école de commerce Amos, spécialisée dans le business du sport. A la suite d’un stage dans la boutique stéphanoise de Laurent Guilhot, Tex Styl’Event, ils imaginent Sporeo. L’idée ? Prendre en charge la chaîne de production de A à Z, de la conception à la vente, et proposer des articles « Made in France » ou « Made in Europe », éco-conçus à 60 %. L’entreprise se spécialise au départ dans les événements cyclistes grâce à un partenariat avec Amaury Sport Organisation, l’organisateur du Tour de France. Elle gère ainsi les boutiques officielles du Tour dès 2020, ainsi que celles des courses comme le Paris-Nice, le Paris-Roubaix ou encore Liège-Bastogne-Liège.
Depuis, Sporeo a élargi son champ d’activité, du rugby à l’endurance en passant par la moto et les compétitions équestres. Jusqu’à devenir l’un des partenaires des Jeux olympiques et paralympiques. Elle a ainsi installé cinq boutiques officielles depuis novembre 2022 : quatre à Paris - aux Halles, au Carrousel du Louvre, à La Défense et sur les Champs Elysées - et une à Lyon, dans le centre commercial de La Part Dieu. Hormis celle des Champs, toutes sont situées dans des centres commerciaux Unibail Rodamco Westfield (Xavier Niel en est actionnaire à titre individuel, comme de l’Informé), le groupe étant l’un des sponsors officiels des Jeux.
Et pourtant, aucune de ces boutiques n’a été enregistrée au registre du commerce et des sociétés, ce qui est pourtant une obligation légale y compris pour les points de vente éphémères, comme l’explique Me Pascal Jacquot, avocat spécialisé en droit des sociétés, immobilier et fiscal : « Juridiquement, une boutique éphémère doit être inscrite comme un établissement secondaire, car c’est un lieu d’exploitation distinct du siège social. Le fait qu’elle ait une durée d’existence courte ou précaire est indifférent : dès le moment où vous avez un lieu physique stable, que ce soit pour une heure, un jour, une semaine ou un mois, vous devez vous déclarer. »
Le registre du commerce et des sociétés, tenu par le greffe du tribunal de commerce, fait office d’organisme centralisateur. Il permet à toutes les administrations - Urssaf, direction des finances publiques, inspection du travail, collectivités territoriales, etc. - d’être informées de l’existence d’un établissement. Si Sporeo ne s’est pas acquitté de cette obligation, il est possible que l’entreprise se soit manifestée auprès de chacune des administrations pour se déclarer. La démarche étant bien plus fastidieuse et chronophage, il semble peu probable que ce soit l’option choisie par Sporeo. « Ne serait-ce que pour l’administration fiscale, vous avez le centre des impôts directs, mais aussi les collectivités territoriales, une multitude d’établissements publics qui peuvent collecter l’impôt, explique Me Pascal Jacquot. C’est la raison pour laquelle l’État est rigoureux sur cette obligation d’immatriculation au RCS. S’il ne l’était pas, il y aurait des fraudes possibles et des entreprises qui échapperaient à certaines administrations. »
Contactée pour savoir si elle avait connaissance de l’existence des établissements Sporeo parisiens, l’Urssaf d’Île-de-France n’a pas voulu répondre à notre demande, pour des raisons de confidentialité. L’inspection du travail n’a pas répondu à nos sollicitations. Mais d’après nos informations, elle a été alertée au moins deux fois par des salariés de Sporeo, notamment au sujet de problèmes constatés dans une boutique éphémère parisienne l’hiver dernier. « Nous étions dans des sortes de petits conteneurs et il y faisait extrêmement froid, raconte un ancien employé qui souhaite rester anonyme. L’entreprise nous avait donné des manteaux chauffants mais cela ne suffisait vraiment pas, il aurait fallu installer des radiateurs. »
Une ancienne salariée a connu une autre mésaventure en octobre. Étudiante en licence de droit, elle postule pour travailler le week-end dans l’une des boutiques Sporeo de la capitale. Mais au moment de signer le CDD, elle remarque que l’employeur ne paye pas le dimanche au double du tarif horaire. C’est pourtant ce que prévoit la convention collective du commerce des articles de sport et des équipements de loisirs. « Ils me répondent qu’ils sont une exception à la loi puisqu’ils n’ont que des boutiques éphémères et qu’ils ne sont donc pas soumis à cette majoration dominicale de 100 %. À ce moment-là, j’avais besoin de ce job étudiant, donc j’ai laissé passer. »
Mais en janvier, après avoir vérifié qu’il n’y avait pas de statut particulier pour les boutiques éphémères, elle revient à la charge. « Ces dimanches représentaient quand même une somme conséquente, pour moi qui travaillais uniquement le week-end, mais aussi pour mes collègues qui étaient là depuis bien plus longtemps. Et contrairement à eux, je n’étais pas dépendante de ce travail, je pouvais me permettre d’être un peu moins docile et de faire entendre nos droits. » Après avoir consulté un cabinet juridique, Sporeo a finalement régularisé la situation : les dimanches sont aujourd’hui payés double. Pour les salariés ayant quitté l’entreprise, seuls ceux s’étant manifestés ont pu obtenir une rectification.
Faut-il mettre ces oublis sur le compte de la jeunesse des entrepreneurs ? L’un des dirigeants, Mathieu Baillet, a pourtant fait deux années de droit à l’université Lyon 2. Ni lui ni aucun dirigeant de Sporeo n’ont répondu à nos sollicitations. Unibail-Rodamco-Westfield, qui héberge les boutiques, a déclaré à l’Informé ne pas vouloir s’exprimer sur le sujet. Pas plus que le Comité d’organisation des Jeux olympiques et paralympiques. D’après son site internet, il s’est pourtant engagé avec les organisations syndicales et patronales dans une « charte sociale », afin de garantir « un évènement responsable sur le plan économique, social et environnemental ». Parmi les trois enjeux majeurs qu’il s’est fixés : « veiller au respect des conditions de travail », en luttant contre le travail illégal, les pratiques anticoncurrentielles, les discriminations, en veillant à la qualité des conditions de travail et en limitant le travail précaire.