Biodiversité : comment les chasseurs détournent à leur profit des millions de subventions
Censé protéger la biodiversité, le budget de l’éco-contribution confié à la Fédération nationale des chasseurs (FNC) sert surtout les intérêts de ces derniers. C’est ce que révèle la liste détaillée des projets consultée par l’Informé.

Parcourir la montagne avec un chien de chasse, développer une appli sur les jours de chasse ou ramasser des déchets… Que peuvent avoir en commun ces activités ? Pas grand-chose a priori. Si ce n’est leur source de financement : le fonds biodiversité des chasseurs. L’Informé a mis la main sur la description détaillée des 576 projets financés depuis que cette ressource existe. Créé en 2019, le dispositif de l’éco-contribution prévoit que la Fédération nationale des chasseurs prélève 5 euros sur chaque permis et les investisse dans « des actions concourant directement à la protection de la biodiversité ». L’État abondant ce fonds de 10 euros par permis, le magot atteint 15 millions d’euros par an. Et dans les faits, la plupart des projets présentés par la FNC sont validés par l’Office français de la biodiversité censé les contrôler.
Mais ces millions atteignent-ils vraiment leur cible ? Beaucoup en doutent. « Il n’y a aucune rigueur et les chasseurs utilisent l’éco-contribution pour suivre leur gibier, pas la biodiversité » regrette Yves Verilhac, ancien directeur général de la Ligue Pour les Oiseaux. « Les projets sont tellement creux qu’on se demande si on ne distribue pas de l’argent aux chasseurs sans rien derrière » s’interroge aussi un membre de l’OFB. Selon nos informations, les dérives sont telles que la Cour des comptes se penche actuellement sur le sujet. Un rapport sur les comptes des chasseurs est prévu pour juillet prochain.
Des projets très orientés sur le gibier
Depuis la création du fonds, les chasseurs ont présenté de nombreux dossiers ciblant le gibier, c’est-à-dire leurs proies. Or par définition, les espèces ouvertes à cette pratique ne sont pas en danger. Les étudier permet en revanche aux tireurs du dimanche d’identifier les habitudes des animaux qu’ils visent. En Savoie, la fédération a obtenu 10 700 euros pour envoyer des chiens d’arrêt, soit des chiens formés à la chasse, traquer le petit gibier de montagne, dont les perdrix bartavelles, les lagopèdes alpins et les tétras-lyres. Officiellement pour les recenser hors période de chasse. Sauf que la présence des canidés est dangereuse car de nature à effrayer les oiseaux pendant qu’ils nichent.
Dans la même veine, en 2019, la fédération aveyronnaise de la chasse a décroché 39 000 euros pour diversifier l’alimentation de ses proies. « Les cultures à gibier réalisées par nos chasseurs sont trop souvent monospécifiques, à base de maïs ou d’une à deux variétés de céréales » précisait le descriptif, avant de détailler le besoin de tester d’autres semences.
Plus récemment, les chasseurs ont multiplié les projets proposant un suivi des Indicateurs de Changement Écologique (ICE). Il s’agit d’une méthode permettant d’analyser le nombre d’individus, de sangliers ou de chevreuils par exemple, et de son impact sur son environnement. Pour l’année 2022-2023, plusieurs fédérations de chasses ont obtenu l’étude des « grands ongulés » : chevreuils, cerfs ou sangliers. Des espèces plutôt abondantes et absolument pas menacées. Interrogée par l’Informé sur la logique de ces initiatives ciblant le gibier plutôt que la biodiversité, la Fédération nationale des chasseurs reste droite dans ses bottes. « Ces projets répondent parfaitement aux objectifs de l’éco-contribution. Ils sont d’ailleurs validés par l’OFB. En effet, les espèces chassables, font comme les autres espèces partie de la faune sauvage et de la biodiversité ».
Les chasseurs se mélangent les espèces : la preuve en images
La Fédération Nationale des Chasseurs parle abondamment de biodiversité sur son site. Notamment au sein de la rubrique « connaissances des espèces ». Mais les chasseurs se mélangent les pinceaux notamment quand il s’agit des oiseaux. En effet, les espèces présentées en photo ne sont pas toujours les bonnes ! Un héron pourpré est introduit en tant que héron cendré, le faucon crécerelle est en fait un faucon pèlerin, le hibou moyen duc est en fait un hibou des marais, et le harle s’avère être un garrot à œil d’or… Quant au vison d’Europe, en voie de disparition, il est illustré par un vison d’Amérique - une espèce envahissante.
Sur leur site, les chasseurs n’hésitent pas non plus à dénoncer la présence d’espèces pourtant protégées et déjà en voie de disparition. Ainsi, les cormorans sont accusés de « manger du poisson au grand dam des pêcheurs ». Mais les chasseurs se rassurent en précisant que ces animaux protégés mais voraces peuvent faire, comme les lynx, l’objet de « mesures de régulation ».
Des opérations de nettoyage sans effet sur la biodiversité
Le nettoyage occupe aussi une large place dans les projets présentés par les chasseurs. Dans les Deux-Sèvres, en Moselle ou comme le rapporte l’Est Républicain, à la Chapelle-sous-Chaux dans le Territoire de Belfort, les chasseurs ont proposé des opérations se chiffrant en dizaines de milliers d’euros pour inviter les populations à récolter des déchets, tout en distribuant aux participants des « goodies » labellisés chasse. Or l’impact de ces actions sur la biodiversité n’est pas direct : les déchets pénalisent l’environnement et les paysages, mais n’ont pas d’impact direct sur la faune et la flore à l’exception du plastique dans les océans. Et « les montants demandés sont beaucoup trop élevés ! s’agace Yves Verilhac. 42 000 euros en Moselle pour faire ce que les ONG font gratuitement ». Auprès de l’Informé, la FNC répond que « les opérations de ramassage des déchets ciblent généralement des espaces avec une plus-value biodiversité. Notre opération “ j’aime la nature propre ” décline ces enjeux de biodiversité sur les zones humides mais aussi sur les espaces terrestres ».
Des initiatives hors sujet
La liste des projets soumise à l’OFB relève souvent de l’inventaire à la Prévert. Quel impact sur la biodiversité peut bien avoir par exemple la restauration de bâtiments appartenant aux chasseurs comme à Sallard en Allier (50 000 euros). Idem pour l’application LandShare qui renseigne les jours de chasse en Isère (12 532 euros) ou pour l’option « chasse » au Bac en Dordogne (27 000 euros).
Constatant les dérives, l’OFB a bien tenté de rectifier le tir. La convention signée avec la fédération nationale des chasseurs a donc été modifiée. Objectif : « resserrer le champ des projets soutenus » soulignait le conseil d’administration de l’OFB le 30 novembre 2021. Mais les changements sont loin d’être flagrants. En octobre 2022, les membres de la « Commission des interventions », une structure de l’OFB qui étudie les projets financés, s’est encore interrogée sur la pertinence d’accepter le comptage des espèces et le nettoyage de la nature dans le cadre du fonds biodiversité. Fin 2022, cette même commission des interventions a demandé à propos de l’éco-contribution « que des bilans soient transmis, ce qui semblerait normal au regard des montants transmis ». Elle les attend toujours.
L’OFB, une agence écartelée entre chasseurs et chercheurs
Les doutes sur la pertinence des financements accordés aux chasseurs s’inscrivent dans une période compliquée pour l’Office français de la biodiversité. Issue de la fusion en 2019 entre l’Office National de la Chasse et de la Faune Sauvage, dirigé par les chasseurs et l’Agence Française de la Biodiversité qui rassemblait chercheurs et ingénieurs, l’organisme est écartelé entre des cultures et des missions contradictoires. « On demande à la police de l’environnement de passer beaucoup de temps à contrôler les chasseurs, leurs permis, leurs armes etc. Ce qui fait perdre des journées de travail qui seraient plus utiles si elles étaient vraiment consacrées à contrôler les cours d’eau ou les pesticides » avance un salarié. Symptôme de ce malaise, l’OFB n’a plus de tête, son ancien directeur général Pierre Dubreuil étant parti diriger le Domaine nationale de Chambord en début d’année. Et Charlotte Crépon, la directrice de la police de l’environnement, qui gère le gros des effectifs, partira fin juin. La candidature à la tête de l’OFB d’Olivier Thibault, qui fut directeur général de l’ONCFS et chasseur à ses heures, comme son prédécesseur, fait craindre que l’agence continue de faire passer les intérêts de la chasse avant ceux de la biodiversité.
Une réponse de la Fédération nationale des chasseurs (FNC )
L’article intitulé « biodiversité : comment les chasseurs détournent à leur profit des millions de subventions » appelle les observations suivantes :
D’une part, l’écocontribution (ECC) est un dispositif légal créé par la loi n° 2019-773 du 24 juillet 2019 portant création de l’Office français de la biodiversité (OFB), modifiant les missions des fédérations des chasseurs et renforçant la police de l’environnement.
Après 4 années de mise en œuvre, la FNC et son réseau ont permis d’initier plus de 500 projets financés dans le cadre de la convention ECC reconduite il y a 2 ans avec l’OFB, pour une durée de 5 années.
Les projets de la FNC et de son réseau sont validés, financés et contrôlés par l’OFB, qui est le bras armé de l’État sur la question cruciale de la préservation de la biodiversité. Comme l’explique l’auteur de l’article, « la plupart des projets présentés par la FNC sont validés par l’office » dont le CA est composé d’acteurs représentatifs de la biodiversité.
Cette validation prouve que ces projets sont conformes à l’objectif de l’ECC et qu’ils contribuent effectivement à la protection et à la préservation de la biodiversité.
Rappelons aussi que les fédérations de chasseurs sont agréées depuis plus de 10 ans au titre de la protection de l’environnement car ce réseau, fort de plus de 1300 collaborateurs et de 500000 bénévoles, mène des actions concrètes et effectives de conservation depuis des dizaines d’années.
Ajoutons que, contrairement à ce qu’insinue l’article, l’OFB n’est pas un repaire de chasseurs. Ils ne disposent d’ailleurs que de 3 sièges à son conseil d’administration sur 43 membres nommés par arrêté ministériel.
D’autre part, le fonds biodiversité est légalement ciblé vers le réseau fédéral de la chasse.
Si les mots ont encore un sens, les chasseurs ne peuvent donc, en aucun cas, être accusés de le « détourner » puisque les concours publics qui l’abondent leur sont légalement dédiés. « Détourner » des fonds, c’est, en effet, s’approprier frauduleusement de l’argent soustrait à une personne ou à une organisation tierce pour ses propres intérêts.
Dans le cadre de l’ECC il n’y a pas d’appropriation par les chasseurs aux dépens d’autres acteurs. Aucune organisation n’est lésée car ce dispositif ne les prive d’aucune subvention.
Quant au caractère frauduleux, aucune fraude n’est avérée à ce jour après des centaines de mises en œuvre concrètes de ces projets par les chasseurs.
Le titre de l’article est donc parfaitement erroné dans ce qu’il laisse entendre au sujet de la probité de la FNC et de son réseau.
En outre, sur le contenu de l’article, une enquête approfondie se serait appuyée sur une analyse exhaustive et statistique des dossiers ECC. Or, l’article lui-même ne cible que 4 projets, ce qui ne lui confère aucune valeur statistique face au plus de 500 projets menés à ce jour.
Il n’omet pas, en revanche, de rappeler la position classique des opposants déclarés à la chasse en affirmant que nombres de projets ECC seraient « très orientés sur le gibier ».
N’en déplaise aux détracteurs de la FNC, lorsque des projets de recherche et de conservation sont menés sur des espèces « gibier », cela permet indirectement de conserver des habitats, les écosystèmes et tout un cortège d’espèces de faune et de flore sauvages qui ne sont pas « visées » par les chasseurs. L’intérêt de ce type de projet pour la biodiversité est donc évident.
Au chapitre de l’opération nationale « J’aime la nature propre » ce sont les employés organisateurs qui sont rémunérés et ce, comme tout salarié dans notre pays. Les 60000 bénévoles qui participent à l’opération sur tout le territoire interviennent, quant à eux, gratuitement.
Quant à l’assertion concernant « des montants qui seraient trop élevés », il convient de relever, qu’à ce stade, aucune infraction et irrégularité pour une hypothétique surfacturation n’a été notifiée à la FNC. Toutes les pièces justificatives sont fournies et instruites par l’OFB.
Au sujet de la restauration de bâtiments appartenant aux chasseurs comme à Sallard en Allier, le projet mentionné est bien plus vaste que ce qui est relaté dans l’article. Il comprend un état des lieux exhaustif du domaine des Sallards (des milieux aquatiques, des habitats présents, de l’avifaune, des chiroptères, des mammifères, des reptiles, des amphibiens et des insectes), une définition des enjeux de gestion du site avec des pistes d’actions et la création d’aménagements favorables à la biodiversité, l’aménagement d’un lieu et la création d’outils pédagogiques permettant d’améliorer l’accueil du grand public et l’offre pédagogique. Ce travail a fait l’objet de collaborations sérieuses avec des Bureaux d’études et un conservatoire d’espaces naturels. L’intérêt de ce type de projet pour la biodiversité est, là encore, évident.
Quant à l’application Land Share qui renseigne sur les jours de chasse, elle n’est pas financée par l’ECC.
Quant à l’option « chasse » au bac en Dordogne, il convient de préciser que l’intitulé exact de cette option porte sur « la connaissance de la faune sauvage et de ses habitats » et qu’elle a été mise en place avec le lycée agricole La Peyrouse à Coulounieix Chamier. Ces modules ont été développés avec les enseignants. Il n’y a donc pas d’option « chasse » au bac en Dordogne.
L’auteur cite, également en fin d’article, la commission des interventions de l’OFB qui aurait demandé « que des bilans soient transmis », en ajoutant qu’elle les attendait toujours. Or, les bilans ont été systématiquement transmis à l’OFB dans les temps impartis, c’est-à-dire une fois les projets achevés (respectivement septembre 2022, décembre 2022, puis mars 2023). Si certains projets ont pris du retard, c’est en raison des confinements liés à la crise sanitaire.
Au sujet de la Police de l’environnement qui, selon un salarié anonyme de l’OFB « passe beaucoup de temps à contrôler les chasseurs, leurs armes… (…) et serait plus utile à contrôler les cours d’eau et les pesticides », il serait honnête de rappeler que les chasseurs abondent l’OFB à hauteur de 50 millions d’euros par an et qu’ils sont en droit d’attendre un minimum de services de cette police de la chasse. Selon les documents produits lors du conseil d’administration de l’OFB du 16 mars 2023, le nombre d’infractions de chasse relevées par les inspecteurs de l’environnement a chuté de 87% entre 2019 et 2022.
En dernier lieu, que penser du paragraphe intitulé, « les chasseurs se mélangent les espèces : la preuve en images », sachant que les quelques rares erreurs répertoriées (5 au total) sur plus de 10000 photos légendées sur le site internet de la FNC ont été corrigées il y a 4 mois ! Aucune « preuve en images » au jour de la publication de l’article n’existait donc, et l’on peine, en outre, à comprendre le rapport entre ce paragraphe et l’ECC.
Cette mise en perspective permettra d’éclairer utilement vos lecteurs sur le parti pris de l’article à l’endroit de la FNC et des chasseurs ».
Réponse de la rédaction
Nous maintenons nos informations, particulièrement sur deux points :
- - L’OFB a bien approuvé un projet d’extension de l’appli « Land Share » pour 12.352,13 euros comme l’indique la liste des projets financés par l’écocontribution pour l’exercice 2019-2020 obtenue par l’Informé.
- - Lors de sa réunion du 11 octobre 2022, comme le montre un document obtenu par l’Informé, les membres de la Commission des interventions demandent « que les bilans soient accessibles, au vu des montants qui sont investis. »