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Continuer la lectureLes dernières salariées de Madmoizelle licenciées
Le groupe Ebra choisit de mettre « sur pause » le site féministe qu’il avait repris en 2022 mais qui perd de l’argent depuis 2021.

« Un retour à l’essentiel ». En mai 2024, voici comment la direction de Madmoizelle, pionnier des pure player féminins-féministes, avait présenté à ses lectrices son changement de stratégie. Exit, le site web alimenté quotidiennement par des articles inédits (news engagées, décryptages culture, mode ou société, témoignages de lectrices…), priorité à la vidéo sur les réseaux sociaux. Le géant Ebra – qui avait racheté en 2022 le groupe Humanoid, lui-même propriétaire de Madmoizelle depuis 2020 – avait alors procédé au licenciement économique de six journalistes (cinq en CDI et une pigiste régulière). Puis, en novembre 2024, la rédactrice en chef du titre, Marie-Stéphanie Servos, avait été licenciée économiquement, tandis que sa social media manager avait été transférée chez Numerama, autre titre d’Humanoid.
En ce début d’année, c’est au tour de l’équipe du pôle vidéo de Madmoizelle, composée de deux journalistes, et de sa régie, qui comptait une commerciale, une cheffe de projet et une vidéaste brand content, d’être remerciée par le groupe. Ces nouveaux licenciements économiques ont été annoncés aux salariées le 21 janvier dernier et seront effectifs fin février 2024. Elles étaient les dernières permanentes du titre. Quant aux pigistes, au nombre de trois, elles ne sont pas licenciées, mais se sont vues proposer d’écrire pour Frandroid et Numerama, les deux autres titres du groupe Humanoid, explique son directeur général Julien Cadot.
Un projet de rachat mort dans l’œuf
Pour les salariées, ces courriers marquent la fin des espoirs. En novembre 2024, elles avaient en effet espéré un rachat du titre. « Plusieurs acteurs ont manifesté leur intérêt, dont deux qu’on a jugé sérieux », confirme Julien Cadot. Le premier projet était porté par Sisters Republic, non pas un acteur des médias, mais une marque française de culottes menstruelles, un temps annonceuse de Madmoizelle. « L’idée avait du sens, soutient le DG, mais il s’agit d’un commerce, qui n’avait pas les fonds de roulement pour lancer la machine. Les tractations se sont arrêtées assez tôt. »
La seconde piste est allée bien plus loin, avant de capoter. Le pôle vidéo et la régie commerciale ont ainsi rencontré en décembre l’une des personnes intéressées par Madmoizelle, Mélody Madar, fondatrice du média Les Éclaireuses. L’entrepreneuse n’en était pas à son premier projet de rachat : l’été dernier, elle avait tenté de reprendre un autre titre de la presse féministe, Causette, une vente finalement annulée en décembre par la justice comme l’avait révélé l’Informé.
La venue de Mélody Madar chez Madmoizelle a été confirmée par Julien Cadot. « Nous étions enthousiastes, précise-t-il, mais il s’est avéré que Mélody Madar souhaitait reprendre seulement la marque, pas les salariées. Ce n’était pas dans nos valeurs, nous avons donc refusé ». De son côté, celle-ci confirme : « J’ai rencontré Humanoid ; leur but était de sauver la rédaction de Madmoizelle. » Pour autant, elle assure qu’elle ne pouvait pas « assumer seule » la reprise d’un média avec ses équipes et reconnaît que son business plan « ne tenait pas » : « Je n’étais pas la bonne personne. C’est dommage, je n’avais pas envie de voir le titre disparaître. »
643 000 euros de pertes en 2023
S’il se dit « déçu » par cet échec, Julien Cadot affirme « comprendre le calcul » de l’entrepreneuse. Car Madmoizelle est au plus mal. Ses audiences ont fondu face à la concurrence des influenceuses et de la presse généraliste qui multiplie les sujets féministes. Ses recettes publicitaires ont aussi chuté. « Le marché des annonceurs qu’on touchait est sinistré, détaille le directeur général d’Humanoid. À commencer par les marques de mode milieu de gamme, qui faisaient le chiffre d’affaires de Mad » Quant aux marques qui se portent mieux, elles se tournent volontiers vers des influenceuses pour des raisons d’audience, d’image ou encore, de simplicité, puisque celles-ci n’obéissent pas aux mêmes règles déontologiques que les médias traditionnels.
Résultat : le chiffre d’affaires de Madmoizelle a baissé de 15% entre 2021 et 2023, passant de 1,03 million à 879 000 euros. Sur la même période, ses pertes cumulées se sont élevées à 1,75 million d’euros, dont 643 000 euros rien qu’en 2023.
Ce mauvais bilan a au moins un intérêt pour le propriétaire Ebra : justifier la mise en pause de Mad dans un contexte pour le moins troublé pour le groupe. En 2022, lors du rachat par Ebra, géant de la presse régionale mainstream, certains journalistes avaient craint pour les lignes éditoriales engagées de Numerama et de Madmoizelle. Une inquiétude réactivée en janvier 2025, lorsque Mediapart avait dévoilé que le président d’Ebra, Philippe Carli, partageait et likait compulsivement des contenus d’extrême droite sur son profil LinkedIn – des révélations qui l’ont contraint à la démission le 28 janvier.
Mais Julien Cadot réfute tout calcul. « Quand on a pivoté sur les réseaux sociaux l’été dernier, on y croyait. On a passé du temps sur la conception du projet, on a fait un travail de benchmark énorme pour savoir comment positionner Mad, Ebra s’est investi… Le groupe est attaché aux sujets de transformation de la société, sinon, il aurait vendu la marque. »
Si le site Madmoizelle n’est plus alimenté, il n’est pas pour autant définitivement fermé. Pas plus que ses comptes TikTok r (109 000 abonnés) , Instagram (230 000) et YouTube (500 000). Julien Cadot évoque « une mise en pause », espérant que « dans six mois, un an, la conjoncture sera plus favorable ».