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Continuer la lectureOlivier Pardo, Jean-Pierre Mattei… des ténors du barreau renvoyés en correctionnelle dans l’affaire TotalEnergies
Plusieurs avocats célèbres et des arbitres internationaux sont soupçonnés de « tentative d’escroquerie en bande organisée » contre le pétrolier.

C’est un parterre de choix qui est appelé à comparaître devant le tribunal correctionnel de Nanterre. Selon nos informations, l’affaire qui oppose TotalEnergies à sept éminents professionnels du droit poursuivis pour des faits de « tentative d’escroquerie en bande organisée » et de « corruption » active ou passive va bien donner lieu à un procès. Le 23 avril, les juges d’instruction en charge du dossier ont en effet renvoyé les intéressés devant la 15e chambre correctionnelle du tribunal judiciaire de Nanterre. Ce sont donc de grands noms qui seront prochainement jugés, parmi lesquels un ancien président de tribunal de commerce (Jean-Pierre Mattei), des ténors du barreau et de l’arbitrage (Olivier Pardo, Xavier Cazottes, François Binet, Andreas Reiner), un administrateur judiciaire (Charles-Henri Carboni) et un administrateur de biens, Laï Kamara. Une audience doit avoir lieu le 20 juin pour déterminer quand se tiendra le procès.
Il s’agit d’une étape très attendue dans cet interminable feuilleton judiciaire, qui avait commencé après une plainte de TotalEnergies en 2011 pour dénoncer un stratagème imaginé vers 2008 par l’homme d’affaires André Guelfi, aujourd’hui décédé. Surnommé « Dédé la sardine », cet intermédiaire sulfureux, spécialisé notamment dans les relations entre les grands groupes industriels français et les nouvelles Républiques issues de l’URSS, est connu pour son implication dans plusieurs scandales politico-financiers emblématiques des années 90. Notamment dans l’affaire Elf (acquis par la suite par TotalEnergies), qui lui avait valu une condamnation.
Tous les prévenus de la présente affaire sont soupçonnés d’avoir eu un rôle actif dans le projet avorté d’André Guelfi pour soutirer une somme colossale à TotalEnergies. L’idée du plan ? « Obtenir par un arbitrage frauduleux la condamnation de [la] société à payer environ 22 milliards de dollars », selon l’ordonnance des juges. Le cœur de ce dossier réside en effet dans cette médiation, organisée en sous-main par l’affairiste entre 2009 et 2012, sur un contrat pétrolier signé dans les années 90 par une filiale d’Elf, Elf Neftegaz, avec l’entreprise Interneft et les régions russes de Saratov et Volgograd. L’arbitrage est un dispositif privé de règlement des conflits qui permet à des parties souhaitant résoudre un différend de s’en remettre à un tribunal d’une à trois personnes impartiales.
Problème : les juges d’instruction estiment que, dans la présente affaire, les arbitres choisis - Jean-Pierre Mattei, Andreas Reiner, Laï Kamara - ne l’étaient pas… Ils auraient été, selon l’ordonnance de renvoi, « actionnés » pour le compte de la partie adverse à TotalEnergies et l’ensemble des prévenus ayant participé à la constitution de ce tribunal le savaient parfaitement. Le plan n’aurait « manqué son effet » qu’en raison de la contestation du processus par le pétrolier et le remplacement des arbitres initialement désignés. C’est le constat auquel est arrivé, après 14 ans d’instruction, le parquet de Nanterre qui avait sollicité en février 2024 le renvoi en correctionnelle des intéressés. Suivant ces réquisitions, les juges d’instruction viennent donc d’ouvrir la voie à un procès et ont déterminé les chefs d’accusation à l’encontre des sept prévenus.
« Manœuvres frauduleuses »
Les trois arbitres sont soupçonnés de « corruption passive » dans leur rôle d’arbitre international et de « tentative d’escroquerie en bande organisée ». Tout d’abord, Jean-Pierre Mattei, désigné comme arbitre d’Elf Neftegaz, est accusé d’avoir manœuvré pour faire nommer des connaissances dans ce tribunal privé, puis de s’être lui-même présenté « comme un arbitre impartial alors qu’il était actionné par les adversaires du groupe Total ». Conseillé par trois avocats dont Me Sébastien Schapira, l’ex-juge du tribunal de commerce de Paris affirme à l’Informé qu’il voit dans le procès à venir l’occasion d’« enfin pouvoir rétablir la vérité après 15 ans d’une instruction à charge ». Il argue que le « soi-disant principal acteur, André Guelfi » n’a « jamais » été auditionné, que le groupe Total, la partie civile donc, a été « perquisitionné » et que les témoignages ont été « évolutifs ». « Ce dossier est un dysfonctionnement majeur à mon préjudice », estime-t-il. À ses côtés sont aussi renvoyés les deux autres membres du tribunal arbitral litigieux : Andreas Reiner, qui en avait été désigné président, et Laï Kamara, choisi pour être l’arbitre de la partie russe. Le premier, figure de l’arbitrage international, et le second, administrateur de biens, sont eux aussi soupçonnés d’avoir, sous couvert de leur mission, roulé pour les ennemis du pétrolier, en ayant connaissance de ces « manœuvres frauduleuses ».
L’avocat de la partie russe Olivier Pardo et son confrère Xavier Cazottes sont quant à eux poursuivis pour des faits de « tentative d’escroquerie en bande organisée » mais aussi pour « corruption active » de ces arbitres internationaux et d’un administrateur judiciaire. Ils sont accusés d’avoir manœuvré pour placer la bonne personne en tant que mandataire ad hoc, puis des arbitres bien choisis, « en vue de la constitution d’un simulacre de tribunal arbitral acquis à la cause de l’une des parties ». Le ténor Olivier Pardo, qui a notamment été l’avocat de Rachida Dati, d’Éric Zemmour ou d’Imad Lahoud dans le procès Clearstream, explique à l’Informé « attendre cette audience pour pouvoir [s]’expliquer ».
Enfin, deux autres hommes sont accusés d’avoir pris part à cette « tentative d’escroquerie en bande organisée ». Charles-Henri Carboni, désigné comme mandataire ad hoc d’Elf Neftegaz, est renvoyé pour « corruption passive ». Quant à l’avocat François Binet, assisté dans cette affaire par Me Jean-Marc Fédida et Philippe Goossens, il est soupçonné d’avoir ajouté sa pierre « en se prévalant de la fausse qualité d’avocat mandaté par le groupe Total à le représenter et à donner pour lui un accord dans le choix d’un arbitre ».
Dans cette affaire fleuve, où tous les prévenus sont pour l’instant présumés innocents, le jugement devrait être rendu d’ici la fin de l’année, selon le parquet de Nanterre.
Contactés, Andreas Reiner, Xavier Cazottes et les avocats de François Binet et Laï Kamara n’avaient pas répondu à nos sollicitations à la publication de cet article.
Article modifié le 30 avril à 13h12 : Me William Bourdon n’est plus l’avocat de Jean-Pierre Mattei dans ce dossier.