L'abonnement à l'Informé est à usage individuel
Un autre appareil utilise actuellement votre compte
Continuer la lectureHugo Brugière (Cybergun, Verney-Carron, Pharnext…) préoccupe l’AMF, le PNF saisi
Les quatres sociétés cotées sur Euronext qu’il gère ont été financées par le même fonds Alpha Blue Ocean, avant de voir leur valeur fondre de 99 %.

Quel est le point commun entre le roi des pistolets en plastique Cybergun, l’armurier Verney-Carron, les biotechs Pharnext et Neovacs et le fabricant de compresseurs thermiques Boostheat ? Toutes sont cotées sur « Euronext Growth », la place boursière des PME. Et toutes sont contrôlées par l’entrepreneur multicarte Hugo Brugière, aujourd’hui visé par une enquête de l’Autorité des marchés financiers (AMF) a appris l’Informé. Le gendarme de la Bourse s’intéresse notamment à la communication de Pharnext auprès des petits porteurs. « Il n’y a aucun problème, j’ai communiqué tous les résultats des études cliniques (qui ont un fort impact sur le cours ndlr) que je recevais dans les temps » assure le dirigeant à l’Informé.
Mais il y a plus grave que les communiqués. Selon nos informations, l’AMF a aussi alerté le Parquet national financier dans le cadre d’un article 40, soupçonnant des faits de corruption et abus de biens sociaux, en raison des liens d’Hugo Brugière avec le fonds d’investissement Alpha Blue Ocean, une organisation installée aux Bahamas et à Dubaï. Cette dernière a financé quasiment toutes les sociétés de l’homme d’affaires via des obligations convertibles en action (OCA), une sorte de prêt dans lequel le créancier se rembourse en part du capital de l’entreprise aidée. Si le mécanisme de financement est légal et souvent légitime, il a ici abouti à l’effondrement des sociétés soutenues. Lésant leurs petits actionnaires mais pas forcément Hugo Brugière qui, selon une source financière, aurait été largement intéressé aux bénéfices réalisés par ABO sur les opérations de financement. Interrogé par l’Informé, le PNF indique ne pas souhaiter communiquer à ce sujet.

Prenons le cas de Cybergun pour mieux comprendre le procédé. En 2019, la société met en place un financement par OCA de 92 millions d’euros auprès du fonds Alpha Blue Ocean. Problème : l’émission est très élevée pour une société de cette taille. Surtout, Alpha Blue Ocean va convertir ses OCA en actions dans la foulée. Ce qui fait chuter le cours. Il perd 70 % dès la première année. Aujourd’hui, il n’atteint que quelque pouillèmes de centimes (0,0002) contre 1 euro en 2018. Premières victimes ? Les petits porteurs évidemment. « Ce qui s’est passé nous pèse, et on veut que le système s’arrête » raconte Kevin*, qui a perdu 80 000 euros dans ce qu’il assimile à une escroquerie. La spirale des obligations convertibles en action nous a aspirés. Quand on tombe dedans, on met un peu d’argent, et on voit que ça baisse beaucoup, alors on remet au pot parce qu’on se dit qu’on fait une bonne affaire. Et à la fin, on perd tout. Il y a eu des divorces, des tentatives de suicide ».
Des petits porteurs de Cybergun porte plainte au pénal
De nombreux particuliers ont continué de croire à Cybergun grâce à la communication massive de la société. Depuis 2020, son agence de communication Actus a produit pas moins de 150 communiqués pour vanter le soi-disant retournement de la société. Au point, selon nos informations, d’inquiéter l’AMF sur leur contenu. En 2023, après avoir repris le fabricant stéphanois de (vraies) armes Verney-Carron, Cybergun s’est par exemple vanté d’avoir signé avec l’Ukraine un contrat de 36 millions d’euros pour 10 000 à 15 000 fusils d’assaut. Sur BFM Business en décembre 2023, Hugo Brugière annonçait même recruter à tour de bras pour cette commande. Ledit contrat créait selon lui « un appel d’air ». Las, le deal n’a jamais eu lieu. Et la communication hâtive de Cybergun a même suscité des protestations de la part de la direction générale de l’armement (DGA). Certes, en août 2024, celle-ci a signé avec Hugo Brugière une convention dite de « réserve industrielle de défense », permettant à Verney-Carron de bénéficier de réservistes pour accélérer les cadences de production en cas de besoin. Ce sera sans doute vain. L’entreprise a été placée en redressement judiciaire en février 2025. Lors d’une manifestation le 9 avril, les salariés s’en sont pris à son dirigeant, le qualifiant sur des affiches d’escroc et de menteur. Pourtant, les perles continuent : dans un communiqué du même jour, on peut ainsi lire que Cybergun est « labellisée entreprise innovante par BPI », alors que la société n’a plus ce label depuis 7 ans.
Décidés à en découdre, plusieurs petits porteurs de Cybergun ayant perdu au total 250 000 euros dans l’aventure, ont porté l’affaire au pénal contre la société et son dirigeant, pour délit d’initié, manipulation de cours, faux et usage de faux notamment. Leur avocat, Pierre Farge, a déposé plainte le 10 avril 2025 au parquet de Nanterre.
Selon les épargnants, Hugo Brugière a bénéficié du système des obligations convertibles en actions. « J’arrive sur des sociétés quand elles sont déjà mortes et enterrées, se défend Hugo Brugière. Ce n’est pas moi qui plante les boîtes ! J’utilise les systèmes de levées de fonds par le marché, ce n’est pas la même chose. Et j’essuie des pertes comme les petits porteurs ».
Ces derniers en doutent donc. Selon une convention établie entre Hugo Brugiere et Cybergun, le dirigeant a officiellement touché une commission de 3 % à 5 % du montant des obligations émises. Soit entre 2,7 et 4,6 millions d’euros si l’on en croit le tableau de tirage de l’opération consulté par l’Informé. Tandis que le fonds ABO récoltait environ 15 millions d’euros en commission. Une sacrée belle opération pour cet ancien élève de Sciences Po où il était élu du syndicat étudiant de droite UNI. Ce capitaine de réserve de l’Armée de terre a démarré en organisant des concerts, notamment celui de Mika en 2011 au château de Chantilly. Amateur de musique baroque, il a aussi fait en sorte que les sociétés Cybergun et Neovacs, malgré leurs pertes récurrentes, deviennent « Mécène principal » de l’Opéra de Versailles, par le biais de sa holding personnelle HBR. Le mélomane est également fan de vieilles pierres : en 2021, il a racheté un château flanqué de tours et surplombé de mâchicoulis, datant des XVI° et XVIII° siècle, à Saint-Agil dans le Loir-et-Cher. Il y accueille des scouts d’Europe pour leurs camps d’été, et l’ouvre pour les journées du Patrimoine en septembre.
Loin du Vendômois et des tentes de scouts, c’est une tout autre ambiance qui attend le visiteur d’Alpha Blue Ocean. Jusqu’en 2021, la société était installée à Londres, au 25 Hanover Square dans de luxueux bureaux avec vue surplombant Soho. Elle est désormais scindée entre les Bahamas et la tour Rolex à Dubaï, d’où les deux dirigeants Pierre Vannineuse, et Hugo Pingray, « les renards dans le poulailler » selon le site Warning trading, gèrent les opérations et invitent sur place leurs « clients » potentiels. Leurs proies, repérées sur des terminaux Bloomberg grâce à leurs ratios financiers vacillants, doivent être cotées en Bourse. Vannineuse et Pingray leur proposent de se financer via les fameuses obligations convertibles en actions. Mais au lieu de se rémunérer sous forme de « coupon », comme dans le cas d’une obligation classique, ils font leur beurre autrement : avec les bons de souscription d’action. Selon les contrats établis, plus le cours de la société cible baisse, plus le nombre d’actions accordées par BSA augmente. « Contrairement à des investisseurs classiques, le fonds et le dirigeant se retrouvent intéressés à la chute du cours, explique une victime du mécanisme à l’Informé. Et ça tombe bien, parce que la création puis la vente d’actions a un effet baissier sur le cours. » En décembre 2024, l’AMF a condamné ABO et Pierre Vannineuse à 3,5 millions d’euros d’amende pour « manipulation de cours » sur la société Auplata, pour n’avoir pas divulgué les conditions de fonctionnement de leur financement. Interrogé par l’Informé, ABO assure ne pas être informé d’enquête de l’AMF ou du PNF. Actus assure que la communication financière d’une société cotée relève de la seule responsabilité de cette dernière.
* Le prénom a été modifié
Sa participation passe de 7 millions à… 140 000 euros.
Michael Willems, le PDG du groupe coté Pharmasimple, a fait les frais du mécanisme des fonds à OCA. En 2022, il avait prêté à ABO les 27 % du capital qu’il détenait dans sa société investissant dans les pharmacies, en contrepartie d’un programme d’obligations. Mais le fonds les a vendus, avant de créer un maximum de titres par le mécanisme des obligations convertibles en actions avec bons de souscription. « Quand ils me les ont rendus, les titres ne valaient plus rien ! explique à l’Informé le dirigeant belge, qui a raconté en détail son histoire dans une vidéo publiée sur le site « La Bourse et la vie ». Leur valeur était passée de 7 millions à 140 000 euros ! ». Michael Willems a porté plainte au parquet de Paris, où une enquête est ouverte, ainsi qu’en Belgique, mais aussi aux Émirats arabes unis contre Alpha Blue Ocean. Il estime s’être fait rouler par Pierre Vannineuse qui lui aurait vendu du rêve alors que sa société était en grande difficulté. « Il a insisté pour m’inviter aux Bahamas, j’y suis allé, je n’aurais pas dû. Ils m’ont totalement eu ». Depuis quelques semaines, l’homme d’affaires s’était épanché dans plusieurs post LinkedIn sur ses déboires, mettant en cause Alpha Blue Ocean. Ces derniers auraient-ils signalé la publication à la filiale de Microsoft ? Toujours est-il que son compte a été supprimé peu de temps après. Il tente actuellement de le faire rétablir. LinkedIn n’a pas répondu aux questions de l’Informé à l’heure de notre publication.