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Continuer la lectureDarrois, Assous, Mazars… comment Arnaud Lagardère a enrichi avocats et auditeurs depuis 20 ans
Les conseils et le commissaire aux comptes du fils de Jean-Luc Lagardère ont touché des dizaines de millions d’euros. Avec des résultats mitigés.

Depuis un an, Arnaud Lagardère est dans la tourmente. Le PDG du groupe éponyme a été mis en examen pour « diffusion d’informations fausses ou trompeuses, achat de vote, abus de biens sociaux et abus de pouvoir, et non-dépôt de comptes ». Il a aussi entraîné dans sa chute les deux commissaires aux comptes de ses holdings personnelles. Le premier, Bruno Balaire, a été mis en examen pour « complicité d’abus de biens sociaux ». Le second, Guy Isimat-Mirin, l’a été pour « complicité de présentation de comptes inexacts, complicité d’abus de biens sociaux, et non révélation de faits délictueux ». En outre, le Haut conseil du commissariat aux comptes (H3C, devenu Haute autorité de l’audit) a infligé à Guy Isimat-Mirin une amende de 20 000 euros, et l’a radié de la liste permettant d’exercer la profession de commissaire aux comptes. Une sanction qui vient d’être alourdie par le Conseil d’État, qui a porté l’amende à 50 000 euros, comme l’a révélé la Lettre.
Cet épisode illustre le rôle central joué par Mazars dans les acrobaties financières de l’héritier. Ce prestigieux cabinet français audite les comptes du groupe Lagardère depuis 1996 – une longévité exceptionnelle. Mais Arnaud Lagardère apprécie tellement le travail de ces experts-comptables qu’il leur a aussi confié l’audit de ses holdings personnelles. Quatre associés de Mazars chargés de vérifier les comptes du groupe (Jacques Kamienny, Michel Rosse, Thierry Colin et Bruno Balaire) se sont donc retrouvés en même temps commissaires aux comptes (CAC) de Lagardère Capital et Lagardère SAS (voir ci-dessous). Et, quand Arnaud Lagardère a dû trouver des CAC supplémentaires pour ses holdings personnelles, il est aussi allé puiser chez Mazars en faisant appel à Louis Viala, Denis Grison et Guy Isimat-Mirin, même si ces trois-là n’étaient pas chargés de valider en parallèle le groupe Lagardère.
Mieux encore. En 2007, Arnaud Lagardère a embauché à l’audit interne du conglomérat un senior de Mazars, Lodoïs Moreau, devenu depuis directeur du contrôle financier. Surtout, en mars 2016, il a voulu recruter Bruno Balaire comme directeur financier du groupe, l’associé de Mazars qui avait audité jusqu’en 2013 à la fois le conglomérat et ses holdings personnelles. Mais cette nomination a été retoquée par l’AMF, au motif qu’un CAC ne doit pas avoir de liens avec une entreprise qu’il a auditée pendant les cinq années qui suivent (le délai a été ramené à 3 ans en juin 2016). Arnaud Lagardère avait alors dû trouver un autre directeur financier, et promit que Bruno Balaire reviendrait une fois le problème réglé, ce qui n’est finalement jamais arrivé.
Pour auditer le groupe Lagardère, Mazars a été grassement payé : environ 4 millions d’euros par an. Selon nos calculs, il a ainsi empoché 90 millions d’euros depuis l’arrivée aux commandes d’Arnaud Lagardère en 2003. De manière étonnante, cette rémunération est restée stable durant 20 ans (voir graphique ci-dessous), alors que, sur cette période, le groupe a vu son chiffre d’affaires divisé par deux, et qu’en théorie les honoraires d’un commissaire aux comptes dépendent de la taille de la société.
Mais l’interminable règne de Mazars va enfin prendre fin. Au printemps 2020, le cabinet a été reconduit pour un dernier mandat de six ans, courant jusqu’au printemps 2026. Si Arnaud Lagardère a décidé de finalement se séparer de son cabinet comptable préféré, c’est à cause d’un règlement européen de 2014, transposé ensuite en droit français. Ce réglement oblige en effet les sociétés cotées à changer de commissaire aux comptes au bout d’un certain temps [*]. Au total, sur ses 30 ans de mandat, les émoluments du cabinet tutoieront la centaine de millions d’euros.
Mais Mazars n’a pas été le seul à s’enrichir. Selon nos informations, les honoraires versés aux avocats étaient aussi particulièrement élevés. Ainsi, Lagardère Capital, holding personnelle d’Arnaud Lagardère, a versé 562 000 euros à Jones Day sur les années 2021 et 2022, et un million d’euros en 2022 au cabinet de Jean-Michel Darrois, son avocat historique, qui a notamment travaillé sur le débouclage de la commandite. De surcroît, Lagardère Management, une autre holding personnelle, a rémunéré Jérémie Assous à hauteur de 500 000 euros en 2022.
Aujourd’hui, Arnaud Lagardère semble regretter ces largesses. « J’ai engagé les ‘‘meilleurs’’ cabinets d’avocats, de fiscalistes, de notaires et de commissaires aux comptes pour me conseiller et me protéger, avec un succès qui semble être remis en cause aujourd’hui », a-t-il déclaré en mars 2023 à la brigade financière, selon le Monde. Devant les juges d’instruction, il a ajouté : « J’avais autour de moi suffisamment de personnes, que je payais cher d’ailleurs, pour me le dire. Et ces experts ne m’ont pas fait cette alerte »
Interrogés, Mazars s’est refusé à tout commentaire, et le groupe Lagardère n’a pas répondu.
[*] Le groupe Lagardère était audité par deux cabinets en parallèle. Si le premier a régulièrement tourné (avec Ernst & Young et Deloitte notamment), le second, Mazars, est resté le même depuis 1996. Dans un tel cas, la loi fixe un plafond de 26 ans : « La durée du mandat peut être prolongée jusqu’à une durée maximale de 24 ans lorsque l’entité recourt à plusieurs commissaires aux comptes. À l’issue de ces mandats, la Haute autorité de l’audit peut, à titre exceptionnel, autoriser l’entité à prolonger le mandat du commissaire aux comptes pour une durée supplémentaire qui ne peut excéder 2 années.» Toutefois, le règlement européen sur l’audit de 2014 prévoit différentes mesures transitoires pour son application. L’une d’elles repousse au 17 juin 2023 l’interdiction de renouveler un commissaire aux comptes ayant été désigné entre 1995 et 2003. Mazars ayant été recruté en 1996, Lagardère a donc pu le renouveler une dernière fois en 2020.
